Catherine Piffaretti, une comédienne contre l’âgisme au cinéma

Cette semaine, Combat vous présente les invitées de notre conférence sur l’âgisme qui aura lieu le 20 septembre au Ground Control. Parmi les invitées, Catherine Piffaretti, comédienne et référente de la commission Tunnel de la comédienne de 50, de l’association Acteurs et actrices de France et associés (AAFA). Elle raconte son expérience et son combat.

La semaine de ses 50 ans, Catherine Piffaretti reçoit l’appel d’une agente pour une proposition de casting de pub. Le produit ? Un médicament qui lutte contre les bouffées de chaleur de la ménopause. Elle refuse net. « Tu sais bien que si je le fais, je suis morte. » Et puis, elle raccroche, et elle s’interroge. Pourquoi cette réaction ? Qu’y aurait-il de mal à ce qu’on l’associe, l’espace de quelques minutes, à la ménopause ?

« J’avais intégré le fait que, passé 50 ans, je ne pouvais plus me montrer », explique la comédienne. Elle commence alors à chercher dans les pubs des femmes qui lui ressemblent, qui ont son âge, son physique. En vain. Entre la trentenaire et la grand-mère, il y a un vide, un impensé de l’image. Alors quand, lors de la première assemblée générale des Acteurs et actrices de France et associés (AAFA), une femme se lève pour demander la création d’une commission sur le « tunnel de la comédienne de 50 ans », Catherine Piffaretti plussoie.

Quand l’âge fait le rôle

« On le sait dès qu’on commence, on a un temps donné pour réussir au cinéma », déplore la comédienne. Les premiers rôles se font rares quand les premières rides apparaissent. Catherine Piffaretti parle d’un regard de « chair fraîche » porté par l’industrie du Septième art sur les actrices. Dans le théâtre, son domaine de prédilection, même problème. « Quand j’ai commencé, il y a 40 ans, on fonctionnait encore beaucoup avec des emplois. » Comprendre : des rôles attribués en fonction de caractéristiques physiques, dont l’âge et la corpulence. Les jeunes premières, dans les pièces classiques, étaient en général attribuées à de jeunes comédiennes fines et blondes. « On restait beaucoup dans les stéréotypes », se souvient Catherine Piffaretti.

Or au théâtre, ce qui compte, c’est l’énergie que les comédiens et comédiennes déploient dans leur rôle. Et cette énergie ne correspond pas toujours au physique. « J’avais un profil de jeune première, explique Catherine Piffaretti, mais une énergie beaucoup plus vieille. Je préférais les rôles plus complexes qu’une Agnès dans l’École des femmes. Ce n’est qu’à partir de 40 ans, quand mon âge a rencontré mon visage, qu’on a commencé à me proposer des rôles qui me plaisaient vraiment. » Mais si les choses s’amendent, si les emplois sont de plus en plus remis en question, si le théâtre contemporain s’affranchit de la correspondance entre âge – voire genre – et rôle, il n’en reste pas moins qu’une tranche d’âge, chez les femmes, n’est représentée ni sur les planches, ni à l’écran.

Au-delà de certains rôles, les femmes semblent disparaître des écrans passé 50 ans. Photo : Grace and Frankie

50 ans, cheveux blancs

« Toujours la semaine de mes 50 ans, je reçois une autre proposition de casting, raconte la comédienne. Une pub pour des appareils auditifs. » Après le médicament contre les bouffées de chaleur, la pilule passe mal. Exaspérée, Catherine Piffaretti se rend sur place, pour voir ce qu’on lui demande de faire. Lorsqu’elle arrive, un jeune homme la dévisage avec surprise. « Il me dit que je me suis sans doute trompée de jour. Quand je lui réponds que non, que je suis bien là pour les appareils auditifs, il ouvre de grands yeux. Il s’attendait à voir arriver une femme aux cheveux blancs, aux yeux clairs et en tailleur pastel. Il s’attendait à voir une comédienne de 75 ans. »

Catherine Piffaretti tourne les talons, mais cet échange la poursuit. Pourquoi faire venir des femmes de 50 ans si l’équipe du casting cherche des comédiennes bien plus âgées ? Ils ne savent donc pas à quoi on ressemble à la cinquantaine ? « Je ne fais pas jeune, martèle Catherine Piffaretti, je fais mon âge. C’est l’image que vous avez de mon âge qui ne va pas. » Le problème, c’est que si la représentation de cet âge-là disparaît des castings, c’est toute une partie de la population dont le reflet disparaît du même coup. Ne reste qu’un vide dans lequel il devient angoissant de se projeter.

Briser l’omerta… et après ?

Dès 2015, la commission Tunnel de la comédienne de 50 ans de l’AAFA tire la sonnette d’alarme. Face au déni et au mépris avec lesquels ses observations sont reçues dans le milieu des intermittents, elle décide de frapper plus fort. Organisation d’un grand colloque, couverture médiatique, baromètre des rôles féminins de plus de 50 ans dans les films français… Un succès. Dans le milieu de la culture, les gens comme les institutions commencent à leur prêter l’oreille. « On l’a fait, sourit Catherine Piffaretti, on a brisé l’omerta. »

Et la question gagne en momentum. Des études sortent et sont relayées par les médias. Le collectif 50/50 produit en 2022 un rapport qui pointe notamment du doigt la double peine des comédiens et comédiennes racisé⸱es, dont la représentation, déjà minoritaire, régresse encore avec l’âge.

Pour autant, les choses n’évoluent pas, ou que peu. « Notre premier baromètre, en 2016, comptait 8 % des rôles attribués à des comédiennes de plus de 50. En 2023, on est à 9 %. Youhou ! » Le ton de Catherine Piffaretti a quelque chose d’incisif. Aujourd’hui, la commission poursuit son travail de plaidoyer et de décompte. Elle compte désormais par les experts en la matière. Mais la machine culturelle ne semble pas se mettre en branle pour autant.

Par Louise Jouveshomme

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