Chaque lundi, Combat vous emmène découvrir une femme qui change le monde à sa manière. Aujourd’hui, rencontre avec celle qui milite contre le vote à l’extrême droite dans les campagnes.
Elle a quitté sa campagne pour mieux la retrouver. Si l’adage a tendance à dire qu’il faut « partir pour réussir », d’aucuns préfèrent revenir aux racines, là où les vraies bascules sociétales peuvent opérer. C’est la voie qu’a choisi Lumir Lapray. D’un petit village de l’Ain aux grandes contrées rurales américaines, la jeune femme de 33 ans s’est déjà présentée aux législatives et a été citée par… Barack Obama.
La naissance d’une militante
Née dans la campagne française d’un milieu rural industriel assez populaire, Lumir Lapray a grandi “dans un milieu prolétaire, de droite, mais en étant favorisée et avec des lunettes de gauche”. Ces “lunettes de gauche”, ce sont celles que sa mère, professeure, lui enfilait: “elle politisait le réel. Lorsqu’on voyait des gens au chômage, dans la galère pour payer les factures ou dans l’incapacité de se soigner, ma mère m’expliquait que c’étaient les conséquences de telle ou telle politique. J’interprétais les problèmes de manière collective alors que les gens autour de moi les observaient comme des faillites morales : ‘tu es pauvre, c’est de ta faute’. Je me suis vite rendu compte que c’était les failles d’un système tout entier. ”
La jeune femme a toujours eu conscience d’avoir la chance de posséder les moyens d’étudier : “quand j’allais chez mes copines, je voyais que j’étais la seule à avoir un bureau et à qui ma mère me faisait répéter les leçons”. Cela a payé, puisqu’après le bac, la jeune femme intègre la prestigieuse école de Sciences Po Lyon. Un changement radical de milieu, qu’elle critique aujourd’hui : “je me suis retrouvée en cours avec des gens très différents, qui pensaient que les ruraux étaient tous des ‘gros fachos’ et qu’il fallait arrêter d’espérer quoi que ce soit de cette partie de la population.” Loin d’oublier ses racines, l’étudiante revient vite à ses combats originaux. Lors de ses années sur les bancs de l’école, elle fonde l’association Optimist, qui lutte pour l’égalité des chances en accompagnant les boursier.e.s qui rentrent à Sciences Po.

Des victoires
En troisième année puis en cinquième année, direction la Californie. Lumir Lapray intègre une coalition de mouvements syndicaux à Los Angeles pour l’augmentation du SMIC. Après dix mois de campagne, la loi passe… et le SMIC double. La jeune femme devient alors assistante parlementaire du représentant démocrate Juan Vargas. Au Congrès, elle fait passer des lois pour protéger les citoyens ruraux isolés. Elle réalise l’importance de l’activisme auprès des populations défavorisées. Une prise de conscience qui a été confortée par l’élection d’Alexandria Ocasio-Cortez aux Etats-Unis, qui utilisait des méthodes syndicalistes pour faire de l’électorat.
Durant le COVID, Lumir Lapray rentre là où elle a grandi pour étudier la campagne d’Alexandria Ocasio-Cortez et le mouvement des Gilets Jaunes. “J’ai travaillé de fond en comble cette campagne, qui était pourtant basée sur une mégalopole à forte densité (New-York) avec dix millions de personnes. J’ai dû adapter ces méthodes à ma circonscription, qui compte dix mille habitant.e.s. J’avais vraiment envie de tester ces méthodes pour apprendre à faire campagne dans ces espaces ruraux, pour voir ce qui était traduisible d’un pays à un autre… Je me suis présentée aux législatives et on a fait une très longue campagne de dix mois avec des centaines de bénévoles dans une zone qui n’a jamais connu d’élu.e de gauche. C’était une très belle performance et cela m’a permis d’apprendre plein de nouvelles choses, que je mets à profit de différentes campagnes désormais. C’est mon travail.” Une fois le pied posé dans l’Hexagone, elle rejoint aussi un cabinet de conseil pour accompagner les entreprises et les collectivités territoriales dans leur transition sociale et écologique et s’engage chez Alternatiba.
Une nouvelle approche
Ce qui intéresse Lumir Lapray n’est pas forcément la performance mais plutôt la manière avec laquelle il faut convaincre les classes populaires blanches rurales de cesser de s’allier avec les patrons. Objectif : les enjoindre à s’allier avec d’autres classes populaires multiraciales afin de créer des coalitions et des victoires pour les classes populaires et moyennes. “Je pense que la grande question qui divise la droite et la gauche est ‘qui sont les responsables ?’. Le RN fait tout pour que chacun.e soit seul.e avec son histoire et ses problèmes. Les autres ne deviennent pas une force sur qui compter, des gens avec qui s’allier pour gagner des avancées, mais ils deviennent des dangers, des compétiteurs.”

Alors, pour convaincre, et surtout pour comprendre, l’ex candidate a une stratégie : elle pose des questions. “Si on prend l’exemple de l’islamophobie, on va se demander pourquoi ils pensent comme ça, pourquoi c’est important pour eux de se dire que on enseignera la charia dans dix ans plutôt que de se concentrer sur des réels problèmes du quotidien. A quelle peur ça vient répondre ? Où est-ce qu’ils l’ont entendu ? Pourquoi ça leur fait peur? Toutes ces questions sont fondamentales pour comprendre et mieux contrer avec des arguments réels et factuels. J’essaie toujours d’aller au cœur des sujets parce qu’une lecture du monde vient répondre à des besoins, expliquer des colères et des frustrations, des humiliations et des peurs. Il faut aussi éviter tout complexe d’infériorité pour que ces personnes se sentent en capacité d’avoir leurs propres opinions sans écouter celles de CNews”.
Des analyses percutantes
En 2022, ses engagements lui valent d’être sélectionnée par la Lantos Foundation, aux côtés de 20 leaders internationaux travaillant à une société plus juste. Une bourse du programme Fulbright lui permet en 2024 de repartir aux Etats-Unis pour étudier le vote Trump et la manière dont les activistes construisent une résistance face à celui-ci. La même année, elle est citée par Barack Obama lors du Democracy Forum de sa fondation, parmi des exemples de jeunes leaders européens influents.
Sur place, celle que l’on retrouve aussi comme chroniqueuse sur RMC échange avec de nombreuses personnes issues du monde rurales. Certaines ont avant tout voté Trump pour finir leurs fins de mois…un vote qu’elles sont beaucoup à regretter aujourd’hui. “Ils ont compris, par l’expérience, que le fascisme est comme une relation avec une personne toxique. Ils te font croire qu’ils t’aiment, que personne d’autre ne t’aime, ils t’isolent des autres, ils te disent qu’il n’y a qu’eux qui te comprennent, que tous les autres veulent ta mort, que tous les autres te trouvent con et te détestent. Après, ils te promettent le monde des merveilles, mais les actes sont complètement différents des promesses, donc tu es complètement confus, tout le temps, en permanence, et ils ont toujours des explications pour transformer la réalité. C’est vraiment comme une relation abusive.” Une comparaison on ne peut plus authentique qui devrait résonner dans les mois à venir.
Malgré ses multiples vies de Paris à la Californie, ce qui anime Lumir Lapray, ce sont les endroits qui peuvent tout faire basculer : les campagnes françaises. C’est ce qu’elle raconte dans son essai Ces gens-là aux éditions Payot, en librairie le 24 septembre.

Lumir Lapray, « Ces gens-là ». Plongée dans cette France qui pourrait tout faire basculer. Ed.Payot, septembre 2025, 224p, par ici
