Chaque mois, Combat vous sélectionne les pépites des dernières lectures de l’équipe.
Louve en juillet, de Gabrielle Filteau-Chiba
« Je hurle ton nom si beau. Séquoia mon pilier millénaire à l’épreuve des feux et du mauvais temps. Séquoia ma coyote rousse plus douce plus brave et brillante que toutes les races domestiquées. Séquoia amour de ma vie réponds moi. »
On ne présente plus Gabrielle Filteau-Chiba, autrice particulièrement appréciée au sein de Combat à laquelle notre journaliste Jessica Combat avait prêté le micro en 2023.
Pour cette rentrée, l’écrivaine québecoise revient avec un texte comme un coup de feu. Un long poème en prose qui se lit d’une traite, presque sans respirer. Les phrases sont haletantes. On imagine son autrice l’écrire dans l’urgence, le coeur encore palpitant. En une centaine de pages, Gabrielle Filteau-Chiba offre une déclaration à Séquoia, sa chienne-louve récemment décédée. Elle y raconte leur relation hors-norme et sororale, cette « vie rêvée de femelles sans plus d’attaches », dans une magnifique célébration à la nature et à l’animal. Le texte invite aussi des thèmes propres à l’écrivaine, des relations toxiques au potentiel de résilience des femmes en passant par les violences conjugales.
Un cri de vie, d’amour et de rage. Un bijou littéraire.

Gabrielle Filteau-Chiba, Louve en juillet, Ed.Depaysage, 2025, 112p, par là
Désertons, de Jeanne Mermet
« La désertion est une tactique. Un acte d’insubordination, un refus de nuire. Un des multiples grains de sable qui ont le potentiel d’enrayer la machine. »
Déserter. On aurait pensé le terme à la mode. En 2022, huit étudiants d’AgroParisTech prenaient le micro lors de leur cérémonie de reprise de diplômes. Ils appellent alors leurs camarades à déserter « des emplois destructeurs. » La vidéo, devenue virale, a fait la Une des médias.
Jeanne Mermet, elle, avait déserté trois ans plus tôt. Diplômée de Polytechnique et de l’université technique du Danemark, elle s’était heurtée à ses contradictions. Difficile de conjuguer activisme radical et modélisation des réseaux électriques au service de la « transition énergétique. » De retour en France, elle part à la rencontre des modes de vie alternatifs dans l’Hexagone.
Ce livre puissant et accessible se veut un appel à la désertion collective. Aussi intime que politique, l’ouvrage de Jeanne Mermet embrasse toutes les facettes qui se cachent derrière nos désertions : refus de nuire, lutte des classes, prétendue neutralité de la science mais aussi réalités des guerres et de la question coloniale. Elle met sur le devant de la scène l’éventail des tactiques à mettre en place pour bouleverser la société, en particulier les alliances entre les déserteurs et ceux prêts à changer le système « de l’intérieur. » Surtout, face aux verrous imposés par un capitalisme destructeur, l’autrice appelle à remuscler nos imaginaires. « Que se passe-t-il si l’élite qui fait tenir le système se lève et se casse ? Est-ce que le système se casse la gueule ? » Interview à venir

Jeanne Mermet, Désertons, Ed.Wildproject, Les Liens qui Libèrent, 2025, 176P, par là
Portraits Nomades, de Marc Pichelin et Troubs
« Ce matin, j’imaginais collecter des paroles et c’est le silence que j’écoute. Jojo a été retrouvé mort dans sa chambre. Sa disparition ne délie pas les langues, elle cloue les becs. Têtes baissées, regards dans les chaussures. La pluie sur la bâche du barnum glace les sangs, elle refroidit les coeurs. »
C’est un petit livre tout de mots et de dessins, où se mêlent voix et portraits. En 2018, Marc Pichelin et le dessinateur Troubs découvrent par hasard Les Chalets, un centre d’hébergement d’urgence. Pendant quatre ans, ils fréquentent les lieux, échangent avec les résidents et recueillent leurs récits de vie souvent cabossés. Le duo fait renaitre à travers ces pages les parcours de personnes que notre société rend inaudibles et invisibles. On y croise aussi bien Julien, l’amoureux des animaux, que Jo tout juste sorti de prison ou encore Manon qui a fui son père alcoolique et Quentin le poète. Mais on y rencontre aussi celles et ceux qui ont choisi de travailler auprès des abîmés, ces personnes du lien que notre société n’a pas encore appris à remercier.
Sans filtre mais toujours avec douceur, le livre propose une plongée dans ces quotidiens où la précarité et les maladies jonglent avec l’espoir et l’amitié. Un livre essentiel pour mettre en lumière ces centres encore trop méconnus.

Marc Pichelin et Troubs, Portraits nomades, Ouïe/Dire, 2025, 264p, par là
Le dernier été de mon innocence, d’Antonin Gallo
« Je n’avais plus assez de place dans mon coeur pour la reconnaissance envers les adultes du bon côté de la société. »
18 ans après avoir quitté son village natal, Chloé se retrouve brusquement dans la maison de son enfance suite au décès de son père. En faisant du tri avec son frère, elle tombe sur un carton rempli de vieux Polaroïds. Ses polaroïds. Des moments volés de joies et de douleurs, qui lui font remonter le cours du temps. Avec ces vieux clichés comme fil rouge, la jeune mère laisse les souvenirs affluer. Point de départ : l’été de ses 16 ans, le dernier de son innocence. L’été du viol, point de bascule du reste de sa vie.
De photo en photo, Chloé se souvient de tout. La ville d’Aubin, étouffante, dont elle ne rêve que de s’enfuir. On sent à travers les pages les corps transpirer d’ennui, jusqu’au lavoir où les adolescents enchaînent les joints pour oublier le temps au ralenti. Suivent l’alcoolisme de la mère, puis la maladie et le deuil, les échecs scolaires, des amours déçues, des amitiés improbables, la rue, la drogue et une vague de sororité.
Le texte juste autant que le trait est fin. On suit les aventures de Chloé, cette guerrière du quotidien comme tant d’autres trop rarement effacées, qui n’aura de cesse de se fracasser avant de se relever. Les couleurs sont rares mais signifiantes. Impossible de ne pas être subjugé par le talent d’Antonin Gallo : sous sa main, même la violence est foudroyante de beauté.
Le plus : le livre s’accompagne d’une playlist qui accompagne habilement chaque chapitre.

Antonin Gallo, Le dernier été de mon innocence, Ed.Robinson, 2025, 328p, par là
Le livre hors rentrée qu’on vous propose de (re)découvrir
La végétarienne, de Han Kang
« Je ne suis plus un animal, grande soeur…Je n’ai plus besoin de manger. Je peux vivre sans. Il me faut juste du soleil. »
Yonghye, à première vue, est une femme simple et terne, paroxysme de la banalité. C’est d’ailleurs pour cela que son mari l’a épousée quelques années plutôt. Mais voilà qu’une nuit, Yonghye se lève et jette toute la viande du frigo. Après s’être cognée à des rêves troublants, violents et sanglants dit elle, elle décide de devenir végétarienne. Dans son entourage, on s’inquiète. Est-ce qu’elle ne deviendrait pas un peu folle, cette femme autrefois si effacée, à refuser de plus en plus d’ouvrir la bouche, à repousser son mari qui sent la viande par les pores de sa peau, et puis qui maigrit, qui n’en finit plus de maigrir, qui s’efface et s’efface encore.
Et puis, il y a ce beau-frère hanté par le fantasme de dessiner des fleurs sur des corps nus, et de les faire se rencontrer, ses corps, jusqu’à commettre l’irréparable.
Et cette sœur qui n’en peut plus de voir sa cadette mourir à petit feu.
Mais comment pourraient-ils comprendre, eux ?
Prix Nobel de Littérature 2024, Han Kang signe un roman polyphonique qui prend aux tripes. On tombe aussitôt sous le charme de cette écriture cinglante qui nous reste longuement dans le crâne.
Le texte séduit pour sa capacité à s’affranchir des codes, tantôt ancré dans la société coréenne et ses carcans, tantôt frôlant le merveilleux. La cruauté embrasse la poésie, l’obscène rencontre la beauté et l’érotisme s’allie aussi bien à la douceur qu’à la bestialité. C’est un roman sur nos chairs et sur nos résistances, sur nos folies et notre liberté.

Han Kang, La Végétarienne, Le livre de poche, 216p, par là
