Chaque lundi, Combat vous emmène découvrir une femme qui change le monde à sa manière. Aujourd’hui, rencontre avec celle qui se bat pour visibiliser la présence des personnes trans sur le terrain, dans l’espoir d’aplanir la voie pour celles et ceux qui suivront.
« Je n’ai pas de modèle. » Au bout du fil, Edda Wolfer-Bouchareb, étudiante à l’université de Caen, s’exprime avec la clarté de celle qui a déjà raconté son histoire. Originaire du Havre, la psychologie qu’elle potasse l’intéresse sans la passionner. Elle, ce qui la branche, c’est le foot. Son rêve : intégrer une équipe professionnelle pour pouvoir transformer sa passion en métier. Mais Edda Wolfer-Bouchareb manque de figures sur lesquelles projeter ses ambitions. Les femmes trans sont en effet peu représentées dans le sport, à plus forte raison à haut niveau. Qu’à cela ne tienne, elle se bat pour visibiliser sa position et permettre aux joueuses qui lui suivront de penser : « Elle a réussi, pourquoi pas moi ? »
Le silence ne résout rien
La joueuse de 27 ans s’est donc fait un devoir de forcer le non-dit, de dissiper le flou des grands discours sur l’inclusion pour aborder concrètement la place des personnes trans dans le sport. « Ne pas en parler, c’est ne pas sensibiliser », explique-t-elle, en donnant comme exemple les cours de foot proposés par l’université de Caen. Son inscription aux sessions féminines se déroule sans accroc, la question de sa transidentité n’est même pas posée. Une bonne chose ? Edda Wolfer-Bouchareb est mitigée. « C’est un côté très français et un peu maladroit de ne pas parler des différences, observe-t-elle. C’est très universaliste, mais ça invisibilise aussi les difficultés des personnes qui sortent de la norme. »
Alors en décembre 2024, elle rencontre le SUAPS de l’université pour discuter de la représentation des personnes trans et de la lutte contre les discrimination. Un échange constructif : la fac est à l’écoute. Accompagnée par les Mains violettes, une association qui lutte contre les violences faites aux femmes, Edda Wolfer-Bouchareb obtient un positionnement clair de l’université. Une manière de paver la voie pour celles qui viendront après.
Sauf que la pratique universitaire sportive ne lui suffit pas. Elle veut jouer en pro, et pour ça, il faut qu’elle intègre un club. Là encore, les modèles manquent. « Quand on cherche des femmes trans dans le sport à haut niveau, on ne trouve rien, déplore Edda Wolfer-Bouchareb. Surtout dans le foot. » Avec émotion, elle cite toutefois Mara Gómez, première femme transgenre à jouer en pro en Argentine. « On a un peu parlé sur Instagram. » De quoi redonner de l’élan aux rêves de la jeune joueuse.

Discriminations larvées
Mais Edda Wolfer-Bouchareb a un problème. Pour être licenciée auprès de la Fédération française de football, qui chapeaute la pratique du ballon rond en amateur et à haut niveau partout sur le territoire, encore faut-il que son état civil porte la mention « féminin ». Or la joueuse n’a pu obtenir son changement d’état civil que tout récemment – avis défavorable du ministère publique oblige. En 2024, elle se présente donc au club amateur de l’Avant-Garde de Caen sans licence, avec une certaine appréhension. « Je suis au début de ma transition », explique-t-elle. Son apparence demeure assez masculine. Mais aucune difficulté du côté de l’entraîneur. « Il m’a dit : “OK, pas de souci, viens t’entraîner.” » Pas besoin de le lui répéter.
« J’ai joué jusqu’à la fin de la saison avec l’Avant Garde, le coach m’a beaucoup soutenue », raconte la joueuse. Pas ou peu d’accroc non plus avec ses coéquipières. « La question des vestiaires s’est posée pour trois personnes. » En revanche, son intégration dans l’équipe a mis à jour d’autres discriminations. Edda Wolfer-Bouchareb se souvient de commentaires du public lorsqu’elle était au goal. « J’entendais des trucs du genre “il arrête les tirs parce que c’est un mec”. Ma présence met en lumière quelque chose que les femmes oublient quand elles jouent au foot : c’est qu’on questionne encore leur légitimité sur le terrain. »
En décembre 2024, un comité missionné par la ministre des Sports d’alors – Améli Oudéa-Castéra – rend son rapport sur la transidentité dans le sport de haut niveau. Les experts soulignent notamment le non-dit du milieu sportif vis-à-vis de l’inclusion des personnes trans : la grande majorité des fédérations sportives françaises – dont celle de foot – n’ont jamais émis d’avis à ce sujet. Le comité recommande à toutes les fédérations de se doter d’un règlement pour statuer sur les cas de personnes trans qui souhaiteraient se licencier avant, durant ou après leur transition. Est également mentionnée la désignation d’une personne référente anti-discriminations.
Sexisme latent, racisme aussi… Parler de l’inclusion des personnes trans dans le sport – et dans tous les autres domaines – remet aussi en question les autres rapports de force qui s’exercent entre hommes et femmes, personnes blanches et racisées, les gens que les normes sociales valident et ceux qu’elles rejettent. Une raison de plus pour Edda Wolfer-Bouchareb de briser le silence, sur le terrain et dans les médias. Non sans risque pour elle.
A la rentrée 2025, elle a été physiquement agressée sur le campus de Caen par des militants d’extrême droite, issus notamment du collectif Némésis et du syndicat étudiant La Cocarde. Secouée, la joueuse l’est, bien sûr. Mais elle ne renonce pas à ses rêves pour autant. Au contraire, cette agression est une preuve supplémentaire de l’importance du combat qu’elle mène. Parce qu’être reconnue pour ce qu’on est, avec ses différences et ses combat, sur le terrain et ailleurs, peut non seulement inspirer d’autres jeunes femmes en manque de modèle, mais aussi pousser la société à admettre et lutter contre les discriminations transphobes.
