« Remplissez le formulaire de contact » : Dans les petites communes, l’isolement des secrétaires de mairie

En milieu rural, elles gèrent la comptabilité, le rapport aux administrés, les relations avec la préfecture, et plus ou moins toute l’administration municipale. Or elles se retrouvent de plus en plus isolées, à mesure que les numéros de téléphone disparaissent du site des préfectures.

« Avant, on pouvait appeler, mais c’est fini. » Sur l’estrade en plein champ montée à l’occasion du Festival international de journalisme (FIJ), à Couthures-sur-Garonne, Dominique Vaz soupire au micro. Cette secrétaire de mairie – de deux mairies, et d’un syndicat des écoles, pour être précise – membre de l’Association du départementale des secrétaires de mairie dans le Lot (ASDM46) et du conseil d’administration de la déclinaison nationale, détaille les difficultés de sa profession en milieu rural, confrontée au désengagement de l’État, à l’évolution de la législation et aux besoins des administrés.

Essentielles mais inconnues

« La plupart des gens ne savent pas ce qu’on fait. Même les nouveaux élus, même notre propre famille. » Elles sont quatre, réfugiées à l’ombre des arbres après leur conférence. Elles viennent de débattre au débotté entre elles de l’augmentation des mutuelles santé pour les seniors, démonstration involontaire des connaissances qu’elles accumulent au gré des demandes d’administrés et des conseils municipaux. Toutes s’accordent sur l’importance de leur fonction, méconnue du grand public, ainsi que sur l’augmentation constante de leur responsabilités.

« On est une pierre angulaire », explique Patricia Hamon, présidente de l’association Secrétaires généraux de mairie de France (SGMF), créée en avril 2025 pour porter la voix de la profession et assurer un réseau d’entraide.

Droit civil, droit public, droit privé, droit des étrangers, parfois… Les secrétaires de mairie – secrétaires générales*, depuis la loi de 2023 – tiennent la compta, rédigent les dépositions municipales, font le lien avec la préfecture, conseillent leurs élus et orientent les administrés. Dans les petites communes, elles assurent souvent seules tout le pan administratif de la mairie. « Quand on est arrivée à Couthures, s’amuse Patricia Hamon, la première chose à laquelle j’ai pensé, c’est à la secrétaire de mairie du village. Vous imaginez la responsabilité qui lui incombe, avec tous ces arrêtés de voirie ? »

De grandes responsabilités impliquent de grandes responsabilités

Les secrétaires de mairie ont en outre un devoir de conseil vis-à-vis des élus – les « leurs » comme elles disent –, si bien qu’elles peuvent être tenues pour responsables d’une décision contestée devant la justice administrative. Une mesure qui ne tient aucun compte des rapports de pouvoir au sein d’une mairie.

« La plupart des gens ne savent pas ce qu’on fait. Même les nouveaux élus, même notre propre famille. » Photo : mairie de Couthures

« Ce monsieur qui a dit (lors de la conférence, ndlr) qu’on devait s’opposer au maire quand il se trompait… Ça ne fonctionne pas comme ça. Dans une mairie, le maire décide, et voilà », explique Natacha Chanteloup, secrétaire de la SGMF. Résultat, il vaut mieux garder une « trace écrite » des conseils donnés, quand la relation avec le maire est tendue, pour pouvoir se dédouaner devant la justice administrative le cas échéant.

De la même manière, la trésorerie municipale, dont la gestion relevait auparavant d’un trésorier désigné, est aujourd’hui du seul ressort des « agents de commune », depuis une ordonnance de 2022. Or, dans les villages, bien souvent, les « agents de commune » se résument à la seule secrétaire de mairie. « Et on ne peut pas être assurée pour ça », s’agace Natacha Chanteloup, contrairement aux anciens trésoriers.

Plus personne au bout du fil

« Les préfectures se désengagent de plus en plus. » Christine Ladet exerce son métier depuis 35 ans. Elle a vu les changements induits par la numérisation, le passage aux services en ligne, notamment pour contrôler la légalité des décisions municipales auprès de la préfecture. « Il y a quelques années encore, raconte-t-elle, il y avait un service préfectoral de relation avec les mairies. On pouvait appeler quand on avait un doute de légalité. Maintenant, il faut passer par des plateformes pour déposer les délibérations. »

Résultat, en cas d’erreur de rédaction d’un document, la préfecture désormais se contente de notifier un refus plusieurs semaines après le dépôt. « Aujourd’hui, les préfectures sont davantage dans un rôle répressif que de conseil », abonde Patricia Hamon. En cause, la désertification des services décentralisés de l’État. « Il n’y a plus personne dans les sous-préfectures », soupire Natacha Chanteloup.

Les liens qui existaient entre les mairies et les institutions administratives se distendent. Les procédures se multiplient à mesure que les moyens de contact disparaissent. Petit exemple : pour vendre des biens immobiliers, toutes les communes sont tenues de saisir le service des Domaines, une branche de l’Etat, pour réaliser une estimation de leurs valeurs. Toutes, sauf celles de moins de 2 000 habitants, qui doivent alors se débrouiller toutes seules ou avec des agences privées. Et qui gère ça ? « On est comme les administrés qui viennent nous voir, déplore Dominique Vaz. Nous non plus, on n’a pas de numéro à appeler. »

2 000 postes ne sont pas pourvus à l’heure actuelle, d’après les données de la SGMF. Et d’ici 2030, un tiers des personnes en fonction auront pris leur retraite. Or les secrétaires de mairie, outre leur rôle auprès des élus, sont également « le premier et le dernier recours » des administrés perdus dans leurs démarches. Il semble donc urgent de penser une révalorisation du métier, qui passe peut-être moins par l’ajout d’un « générale » après le « secrétaire » et plus par un renforcement des moyens – et contacts – humains dans les services décentralisés de l’État.

*94% des secrétaires de mairie sont des femmes, dont on excusera le féminin.

Par Louise Jouveshomme

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