Chaque mois, Combat vous déniche les pépites littéraires qui font encore sens aujourd’hui, qu’elles soient anciennes ou nouvelles.
Le pays des autres, de Leïla Slimani
« Aïcha connaissait ces femmes aux visages bleus. Elle en avait vu souvent, des mères aux yeux mi-clos, à la joue violette, des mères aux lèvres fendues. À l’époque, elle croyait même que c’était pour cela qu’on avait inventé le maquillage. Pour masquer les coups des hommes. »
1944. Dans un petit village alsacien, Mathilde tombe amoureuse d’Amine, un soldat marocain. Après la guerre, elle décide de s’installer avec lui à Meknès, au Maroc. Si, au début, tout semble se passer pour le mieux, la désillusion se fait vite sentir. Elle subit un quotidien difficile, entre manque d’argent, isolement et déracinement. Sa fille Aïcha, qui grandit entre deux cultures, représente la liberté dans laquelle Mathilde ne se retrouve plus.. Entre les griffes d’un mari violent, la jeune femme est en quête d’émancipation.
Dans ce roman subtile et poignant, Leïla Slimani dépeint un Maroc en proie à différents sentiments au sein de sa population. A l’aube de son indépendance, le pays subit des affrontements violents, illustrant les rapports de domination entre colons et colonisés, les inégalités sociales et le racisme systémique dans l’éducation des enfants français. A l’heure où les politicien.ne.s parlent des “belles heures de la colonisation”, l’autrice pointe avec justesse les ravages de la colonisation et les contradictions et les fractures économiques et sociales encore présentes aujourd’hui, au Maroc comme en France.
À lire absolument, tant pour réfléchir que pour voyager.

Leïla Slimani, Le pays des autres, Gallimard, 2020, 368p, par ici
Moi qui n’ai pas connu les hommes, de Jacqueline Harpman
« Je ne connais que la plaine caillouteuse, l’errance et la lente perte de l’espoir, je suis le rejeton stérile d’une race dont je ne sais rien, pas même si elle a disparu. Peut-être que, quelque part, l’humanité resplendit sous les étoiles, ignorant qu’une fille de son sang achève sa vie dans le silence. Nous n’y pouvons rien. »
Quarante femmes sont enfermées dans une cave, surveillées en permanence par des gardiens qui se contentent de les nourrir en silence. Parmi elles, la narratrice, la plus jeune, n’a jamais connu d’autres vies. Les trente-neuf autres n’ont aucun souvenir des circonstances qui les ont menées à cette situation, et vivent dans la nostalgie de leur vie passée. Un jour, une mystérieuse alarme retentit et les gardiens fuient sans un regard en arrière. La narratrice parvient à récupérer les clés de leur prison, égarées près des barreaux. Enfin libres, les femmes se pressent vers leur liberté. Elles devront bientôt entamer une longue expédition à travers une terre déserte et inconnue.
On plonge avec effroi et fascination dans ce roman post-apocalyptiqe initialement publié en 1995. Un texte bouleversant qui nous tient éveillées jusqu’au coeur de la nuit.

Jacqueline Harpman, Moi qui n’ai pas connu les hommes, Stock, 2025, 272 p, par ici
Le prince charmant. L’homme qui ne voulait pas être roi, d’Isabelle Siac
« Peut-être que j’ai endossé l’emploi de Prince charmant depuis si longtemps que nous ne faisons plus qu’un. Peut-être qu’à force la fonction a créé l’organe, et que ma nature de Prince n’est que la sédimentation de mon destin. Ou peut-être que mon caractère est comme le noyau de l’atome, ma cellule souche relevant du grand secret des origines. »
Le Prince charmant a foutu le camp, déçu par ses amours. Une fois, deux fois, trois fois. De mariages détruits à relations secrètes avortées, il poursuit sa quête avec désillusion. Celui qui ne sait que « sauver » ne s’est-il pas finalement enfermé dans son mythe, incapable de trouver le bonheur ? Que se passe-t-il vraiment après « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » ?
Au printemps, on vous parlait de La belle-mère de Blanche Neige, le livre d’Isabelle Siac qui redonnait une voix à la célèbre marâtre. Cette fois, l’autrice se glisse dans la peau du Prince charmant pour une réflexion aussi drôle que perspicace sur les réalités du couple derrière le conte de fées.

Isabelle Siac, Le Prince charmant. L’homme qui ne voulait pas être roi. Ed.Reconnaissance, 2025, 144 p, par ici
La lutte enchantée. Comment garder espoir (et lutter!) dans un monde qui bascule, de Cyril Dion
« Il n’y a que les poètes qui prennent le monde au sérieux, ceux qui ont la réputation d’être distraits, étourdis, de ne pas mesurer les choses, de ne pas en connaître la pesanteur. (…) Je parle d’une petite tribu dispersée et qui n’est pas faite que de gens qui écrivent ou qui peignent, esthètes ou artistes. Il s’agit juste d’une manière humaine d’habiter le monde. Parc que dire habiter poétiquement le monde ou habiter humainement le monde, au fond, c’est la même chose. »
De septembre 2024 à juin 2025, Cyril Dion a réalisé des chroniques hebdomadaires dans l’émission « La Terre au carré » de France Inter. Cet automne, il les rassemble dans ce petit livre qu’on picore avec enthousiasme dans les jours trop gris. Un journal de lutte aux allures de longs poèmes où l’on va piocher aussi bien des actes de résistance que des lueurs d’espoir. Parce que changer le monde, ça implique aussi bien de parler de désobéissance civile que d’amour.

Cyril Dion, La lutte enchantée. Comment garder espoir (et lutter!) dans un monde qui bascule, Actes Sud, 2025, 224 p, par ici
