La maison violette, refuge et lieu de lutte de la jeunesse telavivienne

Au coeur de la ville israélienne subsiste un lieu ressource guidé par une volonté : vivre ensemble et cultiver la paix.

C’est une maison violette en plein cœur de Tel Aviv. On y vient à pied, on ne frappe pas – ceux qui se regroupent là vous accueillent à bras ouverts.

« Cet endroit il est ouvert à tout le monde » sourit Maïa, une des responsables de la maison. « Que tu souhaites participer à des actions militantes ou que tu viennes juste parce que tu n’as rien à faire de ta soirée, tu es la bienvenue. Ce soir, c’est réunion politique, mais demain c’est soirée film, et après-demain, on organise un repas de Shabbat. Le but c’est de créer un lieu de communauté où on peut tous vivre ensemble et cultiver la paix. »

La réunion. Photo : Lisa Hazan

La décoration de la maison représente bien cette volonté. Les murs sont recouverts de colombes et les stickers portent des messages de paix : « les juifs et les arabes refusent d’être ennemis », « on cultivera la Paix ». Une banderole affiche en hébreu et en arabe : « C’est notre maison à nous tous ». Un peu plus loin, on a griffonné à la craie : « War is over ».

« La guerre est un crime »

Au centre de la pièce, des toasts et des bières attendent les participants. Mais plus le temps de se servir, il est 19h30 et la réunion commence. « On va faire un tour des prénoms puisqu’il y a des nouveaux », annonce Lilah, une des organisatrices. « Puis revenir sur la manif du 17 ».

La manifestation du 17 août 2025 a été la plus grande depuis le début de la guerre. Environ 500 000 personnes se sont rassemblées à Tel Aviv – soit 5 % de la population israélienne – pour réclamer au gouvernement la signature d’un accord de cessez-le-feu et de retour des otages. « Les accords sauvent des vies », pouvait-on lire sur les pancartes, ou encore : « La guerre est un crime, Pourquoi sont-ils encore à Gaza ? Un jour, il fera de nouveau bon ici, parce qu’on va se battre pour ça. »

« Cette manifestation, elle montre qu’on est de plus en plus nombreux à se réveiller et à lutter pour que la guerre cesse. Seule la paix mènera à la sécurité. Il faut convaincre le reste de la population israélienne de lutter avec nous ».

Lilah liste sur un tableau différentes manières de s’y prendre : ne rejeter la faute sur personne à part les politiques, ne pas étiqueter les gens, ne pas les mépriser, ne pas les traiter de fascistes, juste essayer d’être audible, comprendre que tout le monde est dans le même bateau et que c’est dans l’intérêt commun de faire cesser la guerre.

Au bout d’une heure de réunion, la militante propose différents groupes de travail : « Les nouveaux qui ont des questions, vous venez avec moi. Pour recoudre les vêtements abimés, c’est avec Ahmad, la communication c’est à côté du tableau vert, le terrain c’est avec Ouria ».

Le tableau vert. Photo : Lisa Hazan

Après le 7 octobre, lutter ensemble

Tous les participants se lèvent. Je profite de l’agitation générale pour reprendre l’interview avec Maïa : « Si cette maison est devenue un lieu de vie communautaire, au départ, elle est le siège de Standing Together à Tel Aviv » , m’explique-t-elle.

Fondé en 2015, Standing Together est le plus grand mouvement populaire arabo-juif du pays. Le groupe vise à rapprocher les Palestiniens et les Israéliens et à obtenir une paix juste et durable entre les deux peuples, impliquant une solution à deux Etats et la fin de l’occupation des territoires palestiniens. Depuis le 7 octobre 2023, la priorité de Standing Together est avant tout de mettre fin à la guerre et de ramener les otages à la maison.

Standing Together à la manifestation du 17 août « On refuse l’occupation de Gaza ».

« J’étais à Berlin quand le Hamas nous a attaqués, me raconte Maïa. Je suis revenue dès que j’ai appris ce qui s’était passé. La guerre m’a touchée personnellement. Un de mes amis est mort le 7 octobre, puis plus tard, ma sœur a été grièvement blessée par un missile. J’avais besoin d’agir. Je me suis d’abord tournée vers la maison violette parce que j’avais besoin d’un refuge, parce que je ne pouvais plus être seule. Puis j’ai commencé à militer. On a organisé beaucoup d’actions ici. Lorsqu’il y a eu la guerre avec l’Iran, on a aidé à réparer les maisons qui avaient été touchées par les missiles. On a nettoyé les abris, on a repeint les murs… On essaye d’avoir une « community organizing », de créer notre propre organisation, celle du peuple. On s’entraide et on lutte ensemble.

On organise aussi des manifestations chaque samedi pour le retour des otages, et régulièrement des rassemblements silencieux à Yafo où on tient des photographies des palestiniens tués à Gaza. Le but, c’est de mettre une image sur l’autre, de l’humaniser. »

– Et tu as l’impression que vous avez un impact sur la société israélienne ? je demande.

« Je ne sais pas vraiment. Ce que je peux te dire c’est qu’on est de plus en plus nombreux à vouloir la fin de la guerre et qu’il y a de plus en plus de personnes qui rejoignent cette maison pour mener des actions. C’est surtout des jeunes qui viennent. Mais parfois, il y a aussi des vieux. Il y a un pépé de 80 ans qui vient à chaque réunion. »

Maïa pouffe : « Il n’entend plus rien, il ne voit plus rien, mais il vient quand même… Ce qui est bien, c’est qu’il y a de la mixité. On va avoir des jeunes et des moins jeunes, des juifs et des arabes, des femmes et des hommes, des religieux et des pas religieux. »

Pour illustrer ses propos, elle me montre du doigt une des équipes de travail. Quatre écoutent attentivement la cheffe d’équipe, tandis que le cinquième fait Arvit– la prière du soir – une main sur la tête en guise de kippa.

Je remercie Maïa et rejoins l’équipe de terrain qui part coller des affiches dans les rues de Tel Aviv.

Arvit. Photo : Lisa Hazan

« C’est la population contre les politiques extrémistes »

Il est 21h et beaucoup de gens sont dehors, mais personne ne prête attention à notre bande. Depuis deux ans, les Telaviviens ont pris l’habitude des collages nocturnes. Ouria, le chef d’équipe, donne les directives : « vous mettez de la colle, vous posez l’affiche, puis vous remettez de la colle pour que ça tienne. ».

Sur les feuilles placardées, on peut lire des citations de soldats : « J’ai peur de tuer un otage », « J’ai peur de tuer un enfant de dix ans ». Elles sont accompagnées du slogan

« Quand est-ce qu’on dira Daï? » (assez en français).

« Quand est-ce qu’on dira Daï ?! » Photo : Lisa Hazan

Je prends quelques photos pour leur compte instagram. Pendant ce temps, Ouria me raconte son rapport à la maison violette :

« Au départ, je suis venu à la maison violette pour donner des cours de voguing. »

Le voguing est un style de danse qui s’est développé dans les années 1970 dans des clubs fréquentés par les gays latino et afro-américains, essentiellement à New York. Depuis, cette danse s’est exportée un peu partout dans le monde, notamment à Tel Aviv.

« La danse et la lutte, ça va ensemble, sourit Ouria. Quand je donne les cours de voguing, j’explique également aux gens l’histoire du voguing, comment les pas de danse ont évolué. Au début, c’étaient surtout les gays qui le dansaient, et les pas étaient rigides, comme des coups pour se défendre. Puis quand les femmes trans ont commencé à le danser, le voguing est devenu plus sensuel. On voulait montrer ses formes. »

Il me montre une vidéo de lui en train d’enseigner.

Cours de voguing. Photo : Lisa Hazan

« Et puis après, de fil en aiguille, j’ai donné des coups de mains pour les actions militantes.

Si j’avais un message à faire passer aux gens de l’étranger, c’est d’arrêter de vouloir choisir un camp, de dire « Je suis pour Israël » ou bien « Je suis contre Israël » , ou « Je suis pour la Palestine », « Je suis contre la Palestine »… On s’en fout, c’est pas ça l’important. Il y a des gens de la mer au Jourdain, et ils veulent avoir une vie belle, et il y a un intérêt commun aux deux peuples à vivre en paix. C’est pas les Israéliens contre les Palestiniens, c’est la population contre les politiques extrémistes. Celui qui défend un côté de manière absolue, il joue le rôle des politiques extrémistes.

On s’en moque de qui a raison ou pas, on s’en moque d’être du bon côté de l’Histoire ou pas. L’important aujourd’hui, c’est qu’il y a 9 millions de juifs et 9 millions de Palestiniens, et qu’ils ne vont pas disparaitre peu importe ce qui se passe. Ça, c’est la réalité. Alors à partir de là, on lutte pour le plus urgent, que la guerre cesse, que la colonisation cesse, et que chaque population puisse avoir son état et vivre en paix. »

« Dîtes, vous me laissez coller avec vous ? » Photo : Lisa Hazan

Sur ces belles paroles, nous sommes interrompus par un homme alcoolisé :

  • Je vous connais vous, vous venez souvent coller par ici ! J’habite juste à côté vous savez, juste là.

L’homme nous montre un banc un peu plus loin, recouvert de cartons qui font office de lit.

  • Dîtes, vous me laissez coller avec vous ? Ça fait longtemps que j’ai pas eu 20 ans. Et le voilà qui colle, presque droites, les différentes affiches.

Ouria l’observe en souriant : « Il s’en sort bien » Puis c’est à son tour de me poser des questions :

« Tu viens de France, c’est ça ? C’est chaud l’antisémitisme là-bas, non ? » Je ne peux qu’approuver.

« C’est fou parce qu’il y a plein de Français qui viennent vivre en Israël parce qu’ils fuient l’antisémitisme, et il y a aussi plein d’Israéliens qui quittent Israël parce qu’ils fuient la guerre. »

Il constate amèrement : « En fait, on n’a plus de refuge… » Sauf peut-être, la maison violette.

Par Lisa Hazan

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