Rania Kissi : « il vaut mieux construire des enfants forts que réparer des adultes brisés »

Chaque semaine, Combat vous fait découvrir d’une femme qui change le monde à sa manière. Aujourd’hui, nous vous faisons rencontrer Rania Kissi, militante pour les droits des enfants placé.e.s et juriste. Elle sera présente à la conférence de Combat le 29 novembre. 

Rania Kissi s’est battue toute sa vie pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui : une femme puissante et inspirante. De son parcours qui débute à l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) pour finalement prendre place sur le bancs des élus de Cergy, elle retient un chemin parsemé de souffrances.

Comme la plupart des enfants placé.es, la jeune femme s’est retrouvée à la rue à 18 ans, faute de personnel pour la suivre dans ses plans d’avenir. « Ils ne voulaient pas m’accompagner dans mon projet d’études. Or, je rêvais de devenir avocate. J’ai donc entamé des études de droit tout en dormant sous un pont car je n’avais aucune ressource.” Dans la rue, la peur est commune à tous, et surtout à toutes. Chaque nuit est un traumatisme supplémentaire, un moment de plus dans le calvaire. 

En 2019, un rapport de la Fondation Abbé Pierre estimait que 26% des personnes sans domicile nées en France étaient d’anciens enfants placés en protection de l’enfance, soit plus de 10 000 personnes. Le chiffre avait brièvement occupé l’espace médiatique à l’été 2023, lorsque la députée LFI Mathilde Panot avait pointé les négligences de l’Etat en tant que « parent. »

“J’ai été drainée par la colère”

Déterminée à poursuivre ses études coûte que coûte, l’étudiante arrivait à l’université tôt le matin pour se réchauffer. “Un jour, un professeur venait corriger ses copies et m’a fait peur. Habituée par la rue à avoir peur du moindre bruit, je l’ai attrapé par réflexe. À ce moment-là, je me suis dit que j’étais fichue. Donc, comme qui ne tente rien n’a rien, je lui ai raconté mon histoire. Il y a été sensible et s’est démené pour m’aider. Ce jour-là, j’ai eu beaucoup de chance.”

Toujours sans ressource, la jeune femme se retrouve malheureusement hébergée dans un centre pour anciens détenus. Son voisin de palier ? Un ancien pédocriminel ayant l’interdiction d’approcher ses propres enfants. Petit à petit, les choses se sont débloquées et Rania Kissi a pu poursuivre ses études de droit dans de meilleures conditions. Cependant, ce n’est pas le cas de tous les ancien.ne.s enfants placé.e.s. Si une récente étude de France Stratégie montrait que 77% des adolescents de l’ASE toujours scolarisés à 17 ans rêvaient de poursuivre leurs études, peu sont ceux qui obtiennent l’accompagnement et les ressources nécessaires pour aller jusqu’au diplôme. Aujourd’hui, seuls 4 % des jeunes issus de l’ASE obtiennent un diplôme de l’enseignement supérieur.

J’ai beaucoup été drainée par la colère, et cette colère, je l’ai transformée en amour car je n’avais pas le choix”. Grâce à ses multiples rencontres, Rania Kissi s’en est sortie.

« la société finit par payer le fait qu’elle n’investit pas dans ses enfants« . Photo : DR

La force d’action

Avec une profonde détermination à changer les choses, la jeune femme a cofondé le Comité de Vigilance des enfants placés en 2024. Entendue par l’Assemblée Nationale, elle travaille aujourd’hui à l’amélioration du parcours des enfants de l’ASE, qui sont en proie à de nombreuses négligences et violences. Parmi les nombreux exemples de ces défaillances, il est nécessaire de rappeler que sur l’ensemble des mineurs victimes d’exploitation sexuelle, la moitié sont des enfants de l’ASE, pourtant censé.e.s protégé.e.s. Rania Kissi parle bien d’exploitation sexuelle des mineur.e.s, et non de prostitution, car aucun adulte responsable ne peut penser qu’un.e mineur.e est consentant.e à des actes sexuels souvent violents. Ce n’est pas un choix. 

Si des mineur.e.s se tournent vers ces activités, c’est aussi parce qu’il n’y a pas assez de surveillance dans les foyers. En effet, il n’y a en moyenne qu’un.e adulte pour vingt-cinq mineur.e.s. “Imaginez si un parent avait vingt-cinq enfants. Ce serait scandaleux. Mais pour des enfants de l’ASE, qui sont dans le besoin d’amour, personne ne se pose de questions.

L’élue défend aussi le droit des enfants à avoir systématiquement accès à un.e avocat.e pour les accompagner lorsqu’iels passent devant le juge.

Faire nation, c’est aussi protéger les enfants.

Des problèmes imbriqués et systémiques

Les enfants placé.e.s dont les parents ont été déchus de leur autorité parentale sont pupilles de la Nation. Dans le pays de Marianne et dans la France de l’égalité, de la liberté et surtout de la fraternité, des enfants sont abandonné.e.s. “Ces enfants n’intéressent personne car on associe beaucoup l’enfant à son entourage qui vote. Or, ces mineur.e.s sont isolé.e.s. Alors, le pouvoir ne s’en préoccupe pas.” Il est également important de préciser que les enfants de l’ASE viennent de toutes les catégories sociales. “Il y a une réelle acculturation du sujet. Les gens ne sont pas éduqués, alors ils tombent dans les stéréotypes les plus faciles comme celui que cela ne concerne que les familles les plus précaires.« 

Rania Kissi le martèle : “la société finit par payer le fait qu’elle n’investit pas dans ses enfants. Par exemple, dans le drame de la professeure qui a été poignardée il y a quelques semaines, nous avons appris que l’adolescent avait été victime de violences sexuelles dans sa famille d’accueil. En plus de cela, l’enfant a mis fin à ses jours.

Elle-même a très vite ressenti des sentiments d’abandon et de honte. “Il vaut mieux construire des enfants forts que réparer des adultes brisés. Faire nation, c’est aussi protéger les enfants de cette nation” insiste-t-elle. Alors, aux enfants placé.e.s, elle aimerait dire “soyez fier.e.s. Ce n’est pas une honte d’avoir des parents défaillants ou d’être à l’ASE. Ce qui est une honte, c’est la manière dont on vous traite. » Fin 2024, plus de 32.000 jeunes majeurs entre 18 et 21 ans étaient accueillis par l’ASE, soit une hausse de 7% par rapport à l’année précédente.

Par Capucine Bastien-Schmit

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