Des écoles sorties tout droit du passé : quand l’extrême droite infiltre nos campagnes

D’une maison d’éducation catholique pour jeunes filles dans l’Ain à une école primaire sédévacantiste dans le pays nantais, les courants intégristes se normalisent. Enquête sur ces institutions d’un autre temps. 

« Il faut que vous fassiez des mères qui sachent, à leur tour, élever leurs fils et leurs filles : l’avenir du monde est l’ouvrage des mères. » Voici une des citations de Napoléon Bonaparte que l’on peut lire sur le site internet de la Maison d’éducation Pauline Marie Jaricot, située à Châtillon-sur-Chalaronne dans l’Ain. Cette école privée hors contrat “prend part au grand combat pour la restauration de l’idéal chrétien de nos ancêtres”. Son personnel et sa fondatrice, Thérèse Madi, prennent part à “l’éducation intégrale” des jeunes filles.

Un projet d’éducation figeant les femmes dans un rôle contre lequel elles se sont battues 

Lavallière, jupe rouge, chaussures en cuir, béret et foulard de soie composent la tenue réglementaire quotidienne des douze élèves de la maison d’éducation. Elles y apprennent certains savoirs académiques mais ont également des cours de couture, de cuisine et de gestion du budget familial. Après la prière du matin, l’école propose aux familles une “éducation intégrale”. Cette approche pédagogique particulière a pour objectif de former la personne “dans toutes ses dimensions” : physiques, intellectuelles, spirituelles et morales. Si ce type d’éducation peut sembler pertinent au premier regard, elle se heurte à de nombreuses dérives.

Vantée à plusieurs reprises par le milliardaire d’extrême droite Pierre-Edouard Stérin, l’éducation intégrale favorise l’emprise totale de l’établissement sur les élèves. Sur le règlement intérieur que s’est procuré Combat, il est par exemple stipulé que les jeunes filles de la maison d’éducation Pauline Marie Jaricot ont interdiction d’apporter des œuvres littéraires n’ayant pas été validées au préalable par la surintendante. Elles peuvent aussi être exclues pour motif “d’impureté”. Thérèse Madi, qui n’a pas souhaité donner suite à notre demande d’interview, ne précise pas ce que cela signifie. Cependant, c’est un thème qui revient souvent dans sa bouche, comme lorsqu’elle répond au site Femme à part que “nous n’avons pas le droit de laisser nos jeunes filles rompre avec leur féminité en ne leur montrant pas les côtés néfastes de l’immodestie, de l’impureté ambiante. Leur mission qui les attend est si belle et tellement primordiale qu’il faut […] qu’elles soient prêtes à répondre le plus loyalement possible à leur vocation.

Cette vocation dont parle Madame Madi est peut-être celle de la féminité… En effet, elle affirme que “la féminité, c’est permettre à l’homme de s’accomplir dans toute sa virilité. Plus la femme est douce, bonne, élégante et délicate plus l’homme sera viril, courageux, fier et responsable.” 

Photo : Pierre-Yves Royet

Le cofondateur de cette école aux pensées rétrogrades est Jacques Madi, qui est affilié au mouvement catholique intégriste d’extrême-droite Civitas. La branche française de ce mouvement a été dissoute en 2023, en raison des “propos antisémites et islamophobes tenus par les militants de Civitas […] mais aussi ses nombreux hommages à des figures de la collaboration ou du régime nazi.” Dans une conférence donnée aux Universités d’Été de Civitas, il établit clairement une hiérarchie entre les humains. À Châtillon-sur-Chalaronne, une grande partie des habitant.e.s souhaite l’arrêt définitif des activités de cette maison d’éducation. Habitante du coin, Sophie1 le martèle : “Le glissement du traditionalisme à l’intégrisme peut se faire assez vite. Il y a un réel danger quant aux jeunes filles de cette institution. Elles n’ont pas la possibilité de se forger une opinion. Nous sommes vraiment dans une situation de propagande”.

Nous sommes vraiment dans une situation de propagande

Capture d’écran provenant de la chaîne YouTube de la MEPMJ.

Un établissement au réseau bien ancré

Le 19 novembre, l’école est visée par un arrêté de la préfecture de l’Ain ordonnant sa fermeture “totale et temporaire”. Cependant, quelques jours plus tard et après un recours auprès du Tribunal Administratif, sa directrice Thérèse Madi a annoncé la réouverture de l’école, remerciant les soutiens “pour leurs prières”. 

Le maire de la commune de 5 000 habitant.e.s, Patrick Mathias, a encouragé la création de cet établissement sans en avertir le conseil municipal ni prendre en compte les avis des élu.e.s d’opposition. De plus, “le contrat de location faisait état de quatre mois de location gratuite ainsi que d’une préférence de vente à l’association à l’issue du bail de location pour un montant de 400 000 euros, alors que le bâtiment était affiché à 500 000 euros dans une agence de la commune”, nous précise Cécile1, Châtillonnaise. Ces “cadeaux”, qui sont dans l’intérêt de la municipalité selon le maire, ne passent pas auprès des habitant.e.s, révolté.e.s. L’une d’entre elles me souffle : “nous nous posons des questions sur l’éventuelle connivence du maire avec la famille Madi.”

La scolarité des filles de la MEPMJ, qui résonne avec celle des jeunes garçons de l’école Saint-Jean Bosco d’une commune voisine, coûte aux familles des 17 élèves quelque 350 euros par mois. Cela ne suffit pas à payer les loyers ainsi qu’à faire tous les travaux nécessaires à la restauration de cet ancien musée. Mais l’établissement peut compter sur le soutien de la Fondation pour l’École, épinglée pour ses positions intégristes ainsi que pour ses nombreux liens et points communs avec… Pierre-Edouard Stérin. La MEPMJ, qui a lancé le fonds de donation “Le Sou de Pauline”, fait régulièrement l’objet de reportages et d’interviews sur CNews et Europe1. Sa directrice y dénonce l’acharnement de “l’extrême gauche” contre son projet, qu’elle estime pourtant essentiel face aux enjeux actuels.

Une infiltration de l’extrême droite en milieu rural

L’association SOS Calvaire, largement plébiscitée par l’extrême droite et Pierre-Édouard Stérin, fait régulièrement l’objet de promotion par l’établissement. Cette association a pour but de “produire des croix en masse pour les diffuser dans toute la France” et ainsi “lutter contre l’islamisation” du pays. 

Thérèse Madi fait partie de la famille Ramé, liée à la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX) qui ne reconnaît plus les papes, jugeant ceux-ci trop modernes. La FSSPX est soupçonnée de dérives sectaires et a étouffé de nombreux scandales d’abus sexuels sur mineur.e.s. Les membres de ce mouvement sont fondamentalement contre l’Etat et affichent clairement leur souhait de retourner au temps des monarchies.

En plein coeur de Châtillon-sur-Chalaronne, l’ancien musée transformé en maison d’éducation. (DR)

Une Châtillonnaise dénonce : “les liens de cette institution avec l’extrême droite sont évidents et affligeants. En tant que catholique pratiquante, je ne veux surtout pas être associée à ces idéologies rétrogrades. S’il y avait un projet d’école aussi extrémiste d’une autre religion, tout le monde se serait insurgé. Ils critiquent l’entrisme d’autres religions, or c’est exactement ce qu’ils font. »

Sophie avertit aussi contre la banalisation de ces courants, en particulier en milieu rural. Elle explique : “ces jeunes filles s’intègrent dans la vie de la commune, tout en voulant se différencier des autres enfants notamment à travers leurs uniformes. On se croirait dans ‘La servante écarlate’, c’est vraiment impressionnant. On ne voit qu’elles et on s’habitue petit à petit à leur présence, comme s’il était normal d’endoctriner des jeunes filles de la sorte. Finalement, nous pouvons parler d’une sorte de soft power intégriste.

Et cette école est loin d’être un cas isolé. En Loire-Atlantique, une école primaire aux idées similaires projette d’ouvrir ses portes dès la rentrée 2026 dans la petite commune d’Abbaretz. Son fondateur, Jean-Claude Pons, se revendique du mouvement sédévacantiste, niant l’existence des papes depuis les années 1960. Ouvertement homophobe et transphobe, il a déjà affirmé en public que la nature se serait vengée de l’homosexualité via l’épidémie de VIH, et que l’avortement était un assassinat. 

Par Capucine Bastien Schmit

  1. Tous les prénoms des témoins ont été modifiés. ↩︎

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