Chaque lundi, Combat vous présente une femme engagée et inspirante, qui veut changer le monde à sa manière. Aujourd’hui, rencontre avec celle qui met l’humour au service de la lutte.
Elle est capable de faire semblant de manger un maillot de football pour tourner en dérision les propos de Pascal Praud. Son célèbre « Coucou ! » introduisant ses vidéos laisse toujours présager « la » bonne vanne. Dans le viseur : la droite, extrême ou non, les homophobes, islamophobes, et tout autre délicieux substantif rimant en -phobe.
Casser les préjugés sur la relation et l’homosexualité à coups de vidéos humoristiques, c’est tout l’esprit du contenu de Neslije. Plus connue sous le pseudonyme de @ness_tbg sur les réseaux sociaux, la jeune femme se présente désormais sans fard comme homosexuelle et musulmane. Pourtant, raconte-t-elle depuis la petite brasserie bruxelloise où nous la retrouvons, cela n’a pas toujours été le cas. Elle sourit, confortablement enveloppée dans son sweat. Assise sur ses genoux, sa chienne Saucisse s’endormirait presque, tête posée sur la table.
Une histoire tristement classique
Si aujourd’hui Neslije est heureuse, cela n’a pas toujours été le cas : “Je viens d’une famille albanaise très traditionnelle et religieuse, dans laquelle on ne parle pas de sexualité. Quand je suis tombée amoureuse d’une femme, j’ai réalisé que ça n’allait pas passer auprès de mes proches. Alors, nous nous sommes cachées durant quatre années qui ont eu raison de notre couple.” La jeune femme a pourtant essayé de rentrer dans le carcan familial. De rendez-vous en rendez-vous avec des hommes, elle a rapidement compris que ce n’était pas ce qui lui convenait.

C’est à l’âge de 27 ans qu’elle décide de faire son coming-out. Ce jour-là, elle perd tout une partie de sa famille : “Mon frère ainsi que beaucoup d’autres personnes comme des cousins et des oncles ne m’ont plus jamais adressé la parole. Pour eux, je n’étais pas normale, j’étais une erreur. Moi, je voulais être pleinement qui je suis.” Après plusieurs mois de silence, sa mère reprend contact avec elle. Les rapports restent toujours très tendus. “Etant donné que mon frère ne me parle plus et que ma mère est toujours dans le déni de la personne que je suis vraiment, je me sens mal lorsque je suis avec elle. Cela me rend triste et me rendra triste. En réalité, je ne sais pas ce qui est le pire entre le déni et la coupure de contact. Je ne peux pas être avec quelqu’un.e qui renie une part de moi. Je ne peux pas parler de mon couple alors que je vis avec ma compagne, de ma vie, de ce que je fais. Ils ne comprennent évidemment pas non plus ce que je poste sur les réseaux sociaux. C’est hors de leur monde. »
En filigrane de son histoire, Neslije dépeint une société où les stéréotypes peuvent être puissants et destructeurs. Nous enfermer dans des cases est devenue une norme. D’ailleurs, ne disons-nous pas “coming-OUT”, c’est-à-dire aller en dehors de la case qui nous est assignée ? Les hétérosexuels ne devraient-ils pas réaliser leur “coming-in”? Le simple terme “coming-out” exclut une partie de la société de ce que l’on appelle injustement la normalité.
« Deux amours ne sont pas nécessairement contraires »
“J’ai un amour profond pour Dieu, mais aussi pour ma copine. Ce n’est absolument pas contradictoire. Je pense que tous les coeurs sont extensibles ” affirme-t-elle, doigts enroulés autour de sa tasse de chocolat chaud. Quand elle parle de ces amours, Nesslije a les yeux qui pétillent. Ils sont pour elles très importants.
La mort, sujet fondamental dans toutes les religions, finit par arriver à notre table. Elle explique : “je ne crois qu’en la notion de paradis, j’ai l’impression que l’enfer est déjà sur Terre. J’ai très peur de la mort car on a toujours peur de l’inconnu. Alors, j’y réfléchis beaucoup, tout en essayant d’éviter le sujet.” De fil en aiguille, la jeune femme aboutit à une réflexion sur “les gens qui essaient de s’arranger avec la religion en priant. Bien sûr, cela peut rassurer et je le comprends tout à fait. Mais je pense qu’il faut davantage prier par conviction que par peur d’aller en enfer. Si on se dit ‘je vais tuer quelqu’un et prier ensuite pour ne pas aller en enfer’, on peut s’excuser de tout, or, il y a des crimes impardonnables. Tout cela est très contradictoire, encore une fois.”
« Pauv cloche va te faire opprimer à Gaza par le Hamas. » Cet été, la jeune femme recevait un commentaire haineux d’un adjoint au maire de Levallois. Et ce cas n’est pas isolé. Comme toute personne visible sur les réseaux sociaux, Nesslije doit régulièrement composer avec des déferlements d’insultes, parfois des messages vocaux avec des hurlements, parfois des messages tels que “peut-on être juif et nazi en même temps ?”, ce à quoi elle répond, après son fameux “coucou” : “oui, bien sûr : Netanyahu.”
Les critiques ne l’affectent pas trop. “Je dirais qu’environ une fois par mois, je suis submergée émotionnellement, alors je déconnecte un petit peu”. Si elle parvient à se forger une carapace, c’est aussi car elle arrive à tout prendre avec humour : “je n’ai pas forcément peur des messages des ‘haters’, je préfère en rire, ce ne sont même pas des remarques pertinentes et constructives.” Elle déconstruit également certains clichés sur la religion et produit des vidéos réaction à certaines paroles de politicien.ne.s comme Eric Zemmour qui affirmait que les musulmans encouraient la peine de mort s’iels changaient de religion : “l’important, c’est de comprendre que la foi de chacun est unique, et que personne n’a le droit de juger quiconque. »
La jeune humoriste aborde également sur son compte le génocide toujours en cours à Gaza, qui la révolte plus que tout. Elle est aussi animée par une profonde pensée pour les populations soudanaises qui subissent un génocide, ainsi que tous les peuples opprimés du Congo, de Madagascar et d’ailleurs.
Pour le moment, Neslije est ergothérapeute…”mais cela pourrait bien changer” affirme t-elle avec un sourire. Son rêve ? Vivre de sa passion qui mélange humour et engagement et écrire un spectacle.
