L’art contre le feu. Au Moyen Orient, la culture subsiste à travers la guerre.

« Ici, aux pentes des collines, face au crépuscule et au canon du temps Près des jardins aux ombres brisées Nous faisons ce que vous les prisonniers, ce que font les chômeurs : Nous cultivons l’espoir. » Mahmoud Darwich, Etat de Siège, Ramallah, janvier 2002

C’est une région qui attire les peurs et les fantasmes. Dans nos images quotidiennes, le Moyen-Orient est sans cesse en proie aux bombes, au chaos et aux doutes. Depuis notre mirador européen, nous ne pouvons que contempler en frissonnant ces pays en plein bouleversement. Pourtant, même dans les ténèbres, une résistance culturelle existe. Dans des caves abandonnées, cachée entre deux bâtiments en ruines, ou en exil lorsqu’il faut fuir les missiles. Dans le cadre de ce dossier, nous avons décidé de nous pencher sur trois exemples concrets. Trois rencontres vertigineuses qui font de la culture une arme de résistance pacifique. 

Une bibliothèque secrète à Daraya : lire pour rester humain

Les bras encombrés de livres, Shadi se fraie un passage parmi les décombres du quartier. D’un pas prudent, il se dirige vers son antre secret, cette ancienne cave transformée en bibliothèque clandestine. A l’intérieur de la pièce souterraine, ses amis font voler la poussière sur les étagères. Des livres y trônent déjà. Des ouvrages religieux ou d’histoire, des livres de développement personnel, ou encore des romans censurés par le régime. Des rescapés de guerre, tous numérotés et classés dans les règles de l’art. Shadi en ouvre un au hasard et montre une inscription au crayon : « Sur la première page, on a écrit le nom du propriétaire, pour lui rendre quand la guerre sera finie » explique-t-il.

Daraya fait partie des villes syriennes qui se sont érigées contre le régime de Bachar Al-Assad. « Daraya, la rebelle. Daraya, l’assiégée. Daraya, l’affamée » écrit Delphine Minoui. Le 26 août 2012, suite à la destruction d’un hélicoptère militaire appartenant à l’armée syrienne, les forces gouvernementales pénètrent dans la banlieue ouest de la ville et procèdent à un véritable massacre. Hommes, femmes, enfants sont bombardés pendant plusieurs jours. A ce moment-là, l’affaire Daraya est considérée comme le plus grand massacre depuis le début de la guerre. Les images de la reporter d’Al Dounia se promenant les ongles manucurés entre les corps carbonisés et tendant tranquillement son micro à des enfants terrifiés et des femmes à l’agonie provoqueront un scandale rapidement réprimé. Peu après, le Centre de documentation des violations en Syrie répertorie 537 morts et des milliers de réfugiés.                                                                                                                     

Un an et demi après le début du siège, dans cette ville meurtrie qui subsiste encore, trois jeunes hommes décident de résister par la culture et par les livres. Shadi, Jihad et Ahmad font le tour des maisons bombardées, des écoles, pour récupérer les livres afin de créer une bibliothèque pour les habitants. « Au début, je n’y croyais pas, confesse Shadi. Pourquoi sauver des livres quand on ne peut même pas sauver des vies ? » Pourtant, en un mois, les amis recueillent quinze mille ouvrages qui étoffent leur bibliothèque. Alors que Daech vient de brûler huit mille ouvrages dans la bibliothèque antique de Mossoul et que le gouvernement persiste à ne faire de l’art qu’une arme de propagande, les habitants de Daraya en font une arme d’instruction massive. « Les livres ne peuvent pas arrêter la guerre ni empêcher les bombes de tomber, mais pour ces jeunes, ils aident à rester humain, à s’accrocher à la vie, à maintenir éveillée une lueur d’espoir » explique Delphine Minoui. Shadi confirme :

Chaque ouvrage était comme un trésor. C’était comme remettre de l’ordre au milieu du chaos (…) Mon copain Omar, lui, il préférait la compagnie des livres à la nôtre. Il disait que ça nous aidait à rester humains, que ça nous protégeait contre la tentation de l’extrémisme. 

Grâce à deux femmes, l’histoire de ces jeunes a pu parvenir jusqu’à nous. La première est anonyme. A l’abri des regards du régime, elle a traversé la ville de Damas à travers les oliveraies pour remettre à Shadi une petite caméra. Celle-ci ne quittera plus le jeune homme. Il filmera des dizaines d’heures du quotidien dans la bibliothèque : lectures, conférences, cours, mais aussi danses, fiançailles, rencontres Skype. Au milieu des livres, on vit, et on meurt aussi. On en retrouve parfois entre les armes et les corps.

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