Lyon-Turin 2/3 Le mépris du vivant

A l’occasion de la mobilisation de ce week-end en Maurienne en opposition aux travaux, Combat vous propose de comprendre tous les enjeux du sujet dans une série en trois volets.

Mais comment des militants écologistes peuvent-ils donc s’opposer à la construction d’une ligne ferroviaire ? Il y a dix ans, à Notre Dame des Landes, le symbole de l’avion était sans doute plus parlant.

Il faut dire que sur le papier, Tunnel Euralpin Lyon Turin (TELT) a écrit son discours au feutre vert. Officiellement, le projet est censé réduire d’environ 3 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an les émissions de gaz à effet de serre, en transférant un million de camions de la route vers le rail. Sur son site internet, la société affirme d’ailleurs que le tunnel en construction « est conçu pour protéger l’environnement alpin délicat des vallées de Suse et de Maurienne, qui a toujours été une source importante de commerce international. » Cette infrastructure, ajoute-t-elle serait une intervention prioritaire répondant aux objectifs de décarbonisation du Green Deal.

Dans les faits pourtant, le projet doit faire face à une forte opposition de la part des militants écologistes, côté français, comme italien. Il a d’ailleurs été épinglé à deux reprises par la Cour des comptes.

Encore une guerre de l’eau

C’est un petit village niché au cœur de la campagne savoyarde, à une dizaine de kilomètres de la frontière italienne. Avec ses quelques 500 habitants, la commune de Villarodin-Bourget est touchée de plein fouet par la construction du tunnel ferroviaire. Depuis 2003, l’année qui a suivi les débuts du chantier, la fontaine ne coule plus. Pris au piège, les habitants ont été contraints de faire un captage en haut de la montagne. Une ligne a été tirée du col de la Masse afin de pouvoir continuer à approvisionner le village en eau.

Et l’exemple de Villarodin-Bourget est loin d’être unique. Dans un rapport effectué par TELT en 2017, sur les 51 points d’eau contrôlés, 10 ont été abîmés par des creusements et 4 complètement asséchés. Le rapport ne tenant pas compte des 22 points restants, le chiffre est sans doute une sous-estimation. Officiellement, au moins 7 communes sont déjà impactées dans leur approvisionnement en eau potable. Des communes comme Saint-André et Saint-Martin-de-la-Porte présentent soit des points d’eau taris, soit de forts risques de tarissement.

Bien plus tôt, en 2006, l’analyse des études faites par LTF sur le projet Lyon – Turin commandée par la Commission Européenne s’inquiétait, affirmant : « la quantité limitée d’eau potable dans la vallée risque d’être contaminée par les eaux de ruissellement, les eaux usées et les venues d’eau générées par le percement du tunnel. »

Le village de Villarodin-Bourget se situe dans la vallée de la Haute-Maurienne, en Savoie, où coule l’Arc. Le chantier de Telt est visible en rive droite. © Marion Paquet / Reporterre

Et plus loin :

« LTF a estimé que les deux tunnels principaux, les descenderies, etc. recevront un flux cumulé d´eaux souterraines compris entre 1951 et 3973 L/s dans le cas stabilisé. Ceci équivaut à un débit compris entre 60 et 125 Million m3 /an, ce qui peut être comparable à l´alimentation en eau nécessaire à une ville d´environ 1 Million d´habitants. Le drainage des eaux souterraines n’est pas négligeable comparativement à la recharge totale en eaux souterraines dans les zones situées le long du tunnel. (…) De manière générale, les tunnels auront pour effet de drainer une quantité non négligeable d’eaux souterraines jusqu’à ces extrémités où elle sera déversée dans l’Arc ou Dora Riparia, directement ou après avoir été utilisée par exemple comme adduction d’eau potable. Cela influencera le stockage et le mouvement des eaux souterraines et probablement aussi d’autres éléments du cycle hydrologique. »

60 et 125 Million m3 /an, cela équivaut à une ou deux semaines de la totalité de la consommation de la France hexagonale chaque année. En 2022, Philippe Delhomme de l’Association Vivre et Agir en Maurienne disait déjà : « On va priver d’eau un massif entier de montagnes, qui sont les châteaux d’eau des plaines. » Alors que le pays s’attend à un été particulièrement violent suite à un hiver sec, les conséquences de ce chantier sur les ressources en eau de la vallée risquent de faire grincer.

De son côté, TELT affirme sur son site : « un travail important est mené par les techniciens pour suivre les eaux souterraines et superficielles. » Une mesure compensatoire d’1,2 millions d’euros a même été mise en place en 2009. Via une conduite de 5km et un réservoir souterrain, un point de captation installé à 2 000 mètres d’altitude est censé continuer d’alimenter la population en eau potable. Le problème, c’est que cette eau est captée en lisière de la Vanoise. Non seulement il s’agit d’un des parcs nationaux les plus protégés de France mais, essentiellement alimentée par la neige, cette source est en plus menacée par le réchauffement climatique.

Dégâts en cascade

Les risques encourus sur les ressources en eau ne constituent que la partie immergée de l’iceberg.

Pour les habitants, il s’agit d’abord d’une véritable destruction de leur lieu de vie. Les jardins potagers qui fleurissaient autrefois sur les bords de l’Arc ont désormais laissé place au chantier. Les travaux en cours provoquent des dégâts irréversibles, défigurant la montagne et dévastant la faune et la flore alentours. Certaines maisons situées sur l’itinéraire de la descenderie seraient même en train de se fissurer.

Cela sans compter que le bilan carbone présenté par ces travaux est loin d’être négligeable. Percer un tunnel d’une telle envergure est une opération extrêmement émettrice de CO2. TELT elle-même indique dans ses estimations qu’il faudrait 25 ans d’exploitation pour amortir le bilan carbone de ce projet. La Cour des comptes a toutefois affirmé en 2020 que le chiffre le plus réaliste était de 50 ans. Si les premiers trains roulent en 2030 comme le souhaite TELT, le bilan carbone du perçage du tunnel ne seront dont positif qu’entre 2055 et 2085.

En réalité, le Lyon Turin n’a jamais fait l’objet d’un réel bilan carbone, ni d’une étude économique sérieuse pour valider son modèle.

Dans l’étude de la Commission européenne citée plus haut, les enquêteurs pointent du doigt de nombreux problèmes non résolus, tels que la présence d’amiante, supposée en grande quantité, dans les massifs rocheux qui seront creusés ; les effets liés à la présence de roches radioactives, Radon et Uranium, le long du tracé des tunnels ou encore les risques de contamination de rivières par les dépôts des marinages et déblais dans les plaines. Des variables restent d’ailleurs inconnues, comme les conséquences de l’effet géothermique sur l’eau présente à 2 500 m de profondeur.

En 2012, une vidéo diffusée par le quotidien Il Fatto Quotidiano, montrait Massimo Zucchetti, professeur au Politecnico de Turin, relever à proximité du site des taux de radioactivité jusqu’à 1000 fois plus élevés que la radiation naturelle. La compagnie pétrolière italienne AGIP avait déjà confirmé, dès les années 70, la présence de matériaux radioactifs.

Surtout, affirme l’étude européenne, « les études n’ont pas sérieusement évalué des tracés de tunnels alternatifs. » De manière générale, celle-ci décrit le chantier comme un projet dont les risques ont été peu ou sous-évalués, au détriment des écosystèmes et du bien-être de la population.

Par Charlotte Meyer

Image à la Une : deux jeunes cygnes chanteurs sur l’Arc, en 2019 DR La Dauphinelle

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