Solann : « L’art est ce qui permet d’embellir le monde. »

En 2019, Combat réalisait la toute première interview de la jeune chanteuse. A l’époque, celle-ci venait de mettre en scène sa première pièce, En attendant la nuit. Elle nous racontait alors sa passion pour la scène. Cinq ans plus tard, nous vous proposons de vous replonger dans cette rencontre.

30 janvier 2024. Dans les loges du Café de la danse, Solann souffle une dernière fois. Elle sourit, et l’on voit presque son coeur palpiter derrière ses lèvres. Du bonheur, de l’impatience… et une bonne dose de stress. Chaussettes chaudes et cheveux lâchés, celle qui se présente comme une « sorcière réconfortante » est sur le point de donner son premier concert personnel. Elle ne le sait pas encore, mais la salle est comble et continue de se remplir. Elle ne le sait pas encore, mais cette soirée se finira dans l’intensité des lumières et des acclamations. Elle ne le sait pas encore mais, quelques mois plus tard, c’est sous les feux du Zénith qu’elle s’apprêtera à monter.

« Il faut un côté solitaire pour devenir une artiste. » Retour en 2019. Les projecteurs ne sont encore qu’un rêve à peine esquissé au crayon de papier. Dans la douceur de cette fin d’automne, le soir glisse derrière les toits de la capitale. Le visage à demi caché par l’obscurité, Solann fait courir ses doigts sur son piano. Sa voix emplit bientôt la petite taille de sa pièce solitaire. Les mots sont feutrés, forts. Les yeux dans le vague, la jeune femme laisse la chanson prendre corps. « Il n’y a pas trop de place dans mon appartement pour le piano, sourit-elle. Alors quand je suis chez ma grand-mère, j’en profite. » Sa grand-mère, lieu refuge et lieu amour. Heureusement pour son âme de musicienne, Solann a plus d’une corde à son arc. Depuis son petit appartement parisien, elle fait sortir des notes de son ukulélé.

« Ma passion pour la musique me vient sans doute de ma mère » raconte-t-elle. Je me souviens qu’elle chantait beaucoup à la maison, elle avait aussi des amis qui donnaient des cours de chant. Au début, je me suis réfugiée dedans parce que j’étais un peu solitaire. Et puis, un jour, sans savoir comment, je me suis retrouvée à chanter en public. Et je me suis rendue compte que non seulement j’aimais partager ça, mais que ça plaisait aux autres aussi ! » Depuis, la jeune femme ne s’est jamais arrêtée. Depuis quinze ans, elle n’a plus quitté ses instruments. Piano, ukulélé, cithare, elle pose sa voix dès qu’elle le peut. Aujourd’hui, l’artiste autodidacte compose ses propres musiques et chansons qu’elle n’hésite pas à partager sur les réseaux sociaux. Salon baigné de soleil, assise sur son lit, debout devant sa fenêtre, elle se livre sans artifice.

Le théâtre comme mode de vie

Solann, avec sa beauté de liane brune et diaphane, n’hésite pas à sortir du cliché féminin réduit aux apparences. Loin de se satisfaire de chanter derrière sa caméra, l’artiste s’est lancée à bras ouverts dans le théâtre. Son univers y était certes un peu propice : depuis petite, elle suit les aventures de son père comédien.

« Le plus d’une comédienne comme Solann, confirme ce dernier, c’est qu’elle assume sa féminité tout en ayant pas peur de prendre des risques. Elle peut être jolie et accepter de déconner sur scène. C’est ce qui la rend complète. » La comédienne de dix-neuf ans s’amuse :  « c’est vrai qu’au début il y avait ce petit côté où je voulais faire comme papa. De manière plus générale, toutes les personnes que j’admire font du théâtre. Faire du théâtre, c’était essayer de devenir ce que j’admirais et parvenir à inspirer la même chose. » Mais la passion de la scène a rapidement dépassé les frontières du mimétisme. Aujourd’hui, elle fait partie intégrante de sa vie. « Je suis tombée amoureuse du théâtre dans le texte avant de connaître celui des planches. Cyrano de Bergerac, par exemple, est un texte incroyable. J’ai dû le lire une bonne vingtaine de fois ! Et puis après, bien sûr, il y a eu la découverte du jeu. Devenir une autre personne, j’ai trouvé ça tellement agréable. »

Après son bac littéraire, la jeune femme fait son entrée à La Générale, une école transdisciplinaire de Montreuil. « Ce qui est super avec cette école, c’est qu’elle fait travailler en synergie les futurs costumiers, réalisateurs et comédiens. Ça rend nos études très riches. » Marivaux, Tennessee Williams, Edward Albee, Solann se confronte à tous les textes, participe à l’élaboration de nombreux spectacles. Elle s’est même découvert une troisième passion, celle de la caméra. Spectacles de fin d’année, courts-métrages, projets en commun : elle n’hésite pas à toucher à tout. « Je sais que j’ai encore du travail à faire. Par exemple, j’ai encore du mal à prendre du recul sur mon personnage et moi. J’apprends aussi à prendre conscience de la manière dont les gens me voient, de comment ils fonctionnent, à m’imposer. » Pour elle, faire des études dans le théâtre était une évidence. « Je sais que certaines personnes ont parfois du mal à tout lâcher pour l’art. Mais je n’ai eu aucune peur au moment de prendre cette décision. La peur, c’était plutôt de ne pas pouvoir le faire justement ! » rit-elle avant de poursuivre : « Aujourd’hui encore, je ne regrette pas ce choix. J’ai accepté ce que je voulais faire depuis longtemps. En fait, c’était ça ou rien. Je sais que c’est ça que je veux faire toute ma vie. »

L’art sous toutes ses formes

Telle une libellule, Solann virevolte d’un art à un autre. Si le théâtre apparaît comme son pilier, sa colonne vertébrale, la musique, la caméra mais aussi la peinture, ne sont jamais très loin. « Le chant, c’est ma rigueur. Ça me force à travailler ma voix tout le temps. Le théâtre m’apprend à mettre un petit mur dans ma tête. Quand j’apprends à bloquer le public pour évacuer le stress, c’est la même chose dans la vie de tous les jours. C’est ce qui m’aide à avancer pour mener des projets efficaces. Le cinéma m’aide à l’introspection. Je trouve qu’on réfléchit plus à la psychologie du personnage quand il y a la caméra. Et enfin, il y a la peinture que j’ai découverte plutôt récemment. Pour moi, c’est l’amour du détail. L’important, ce n’est pas de terminer la toile mais justement d’y passer du temps. Peindre simplement pour attendre d’avoir fini, ça vaut pas le coup. Le meilleur moment, c’est quand tu te concentres sur une petite zone, sur un détail. C’est ce qui permet de me recentrer. »

Dans une société où l’art passe pour du divertissement, la jeune femme n’a pas hésité à se jeter dedans tête la première. Loin de considérer ce qu’elle fait comme un simple loisir, elle le place au contraire au cœur de la société.  « Pour certains, un vrai métier c’est quelque chose qui demande une énergie plutôt négative, quelque chose de difficile avec lequel on ne devrait pas mêler sa passion.» Elle s’arrête. Le soir dévie toujours et dessine des ombres oniriques sur ses joues. Quelque chose en elle s’enflamme :

« L’art, ce ne serait pas assez concret. Ce serait même futile. Alors oui, c’est vrai, quand je me lève le matin, je n’ai pas juste l’impression de me forcer à sortir du lit juste pour gagner de l’argent. Pour le reste, je ne suis pas d’accord. L’art, c’est d’abord la transmission des histoires. Des histoires et de l’Histoire. C’est ce qui aide à ne pas oublier les choses, parfois aussi de relater des faits horribles en les embellissant. On oublie parfois qu’il nous reste des œuvres qui ont traversé des époques pas faciles. Non seulement ce sont des témoignages uniques, mais s’ils étaient si futiles, ils auraient disparus depuis longtemps ! »

Solann réfléchit un instant et sourit : « Surtout, l’art, c’est ce qui permet d’embellir le monde. »

Son rêve dans quinze ans ? Continuer à chanter, peindre, sentir le regard de la caméra, fouler les planches tout en mettant ses propres pièces en scène. Et découvrant ses dents de la chance, elle conclut dans un dernier sourire : « De toute façon, ça vaut le coup. J’ai définitivement trouvé quelque chose qui m’a attrapée. »

Cinq ans plus tard, on en est plus que jamais convaincus.

Par Charlotte Meyer

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