SEMAINE SPECIALE DROITS DE L’ENFANT. Pour la pédagogue Sophie Rabhi-Bouquet, les mesures gouvernementales constituent une confiscation de la liberté éducative.
Notre liberté éducative est en danger ! Les écoles alternatives aux pédagogies humanistes sont fermées de façon arbitraire, à un rythme très soutenu depuis début 2024. L’instruction en famille (IEF) est de plus en plus restreinte, poussant une centaine de familles à entrer en désobéissance civile. La plupart des pédagogies sont sous le joug de propagandes diffamantes. En bref, la liberté de choix éducatif disparaît peu à peu, mettant en danger les droits fondamentaux de chacun. Dans ce contexte, Combat publie plusieurs tribunes de personnalités engagées dans la défense des droits de l’enfant.
Cela fait 35 ans que je gravite à divers titres dans les milieux de la parentalité proximale. Celle-ci est basique et universelle, reconnue par les sciences sociales et les neurosciences comme une composante essentielle de notre humanité, favorable au développement de l’enfant, à son épanouissement, à son éveil. Le caregiving, ainsi nommé en éthologie humaine, constitue le socle relationnel, affectif et social d’individus dits sécures, contributeurs de sociétés pacifistes et de cultures humanistes fondées sur l’empathie. Pratiqué assidûment, il permet une meilleure mobilisation des capacités cognitives de l’enfant, soutient ses facultés d’apprentissage, son exploration du monde, sa créativité, sa liberté d’être et devenir lui-même, dans la confiance. Des centaines d’études corroborent ces constats, compilées par plusieurs chercheur·ses en la matière, dont le Dr Catherine Gueguen pour ne citer qu’elle.
Parentalité proximale. De quoi s’agit-il exactement ? Tout simplement de l’élan naturel qu’éprouve un parent, homme ou femme, pour prendre soin des besoins de son enfant et l’accompagner dans la vie. Quoi de plus évident ? Et pourtant…
Nos enfants ne sont pas vos enfants !
Depuis quelques mois, les familles qui ont choisi de passer du temps de qualité avec leurs enfants, de vivre (vraiment) avec eux, de les voir grandir, de partager leur existence ordinaire, de s’émerveiller mutuellement autour de découvertes et d’apprentissages offerts par la richesse du quotidien… Ces familles-là sont convoquées devant le Juge pour être sanctionnées : elles ont le culot de vouloir instruire leurs enfants par elles-mêmes plutôt que les confier à l’institution ! Et l’on peut être puni pour cela, puni de vouloir prendre soin de son enfant par soi-même.
Car oui, pour un nombre grandissant d’entre nous, parents, éducateurs, enseignants, grands-parents, instruire son enfant par soi-même ou l’orienter vers une pédagogie active constitue une bientraitance essentielle que nous ne sommes pas prêts à sacrifier pour une mesure aléatoire dite anti-séparatiste qui ne nous concerne pas (l’éducation alternative que nous pratiquons ne produit pas de terroristes et les cas de déscolarisation pour radicalisation relèvent davantage du fait divers que d’un problème systémique de l’IEF.)
Sous régime démocratique, il est permis de penser et d’agir selon ses convictions, un droit fondamental qui se réduit comme peau de chagrin. Sauf que là, il s’agit de nos enfants. Et, messieurs et mesdames les décideurs : nos enfants ne sont pas vos enfants !
Permettre l’émerveillement
Le rôle d’un Etat est de promouvoir des lois qui profitent à tous les citoyens pour leur permettre de mieux vivre sa devise : liberté, égalité, fraternité. Où est la liberté si je ne peux plus choisir de vivre pleinement mon existence à la maison avec mon enfant tandis que c’est mon projet parental et que, dans une écrasante majorité des cas, il s’agit d’un projet merveilleusement bientraitant pour l’enfant ?
J’ai rencontré des dizaines de familles qui font l’école à la maison dans ma vie, j’ai moi-même fondé une école alternative où mes 4 enfants (et des centaines d’autres) ont grandi et ont appris dans la joie, la rencontre, la liberté, l’émerveillement. Il s’agissait d’une école à la ferme. Ils ont évolué parmi les animaux, les activités de plein air, les jardins, la forêt, les ateliers divers et variés, les rencontres insolites d’artistes, de voyageurs, de scientifiques passionnés… Ils ont pu créer, s’écouter, apprendre à se connaître, découvrir n’importe quel sujet qui les passionne plutôt qu’un programme monochrome, ennuyeux à mourir lorsqu’il est proposé de manière formelle. Ils ont appris à lire, à écrire, à compter comme l’on apprend à parler et marcher : naturellement et sans pression. Ils sont restés vivants, curieux, incroyablement compétents dans leurs domaines de prédilection. Ils ont appris l’altruisme et l’éducation civique pour l’avoir vécue quotidiennement, dans un contexte où l’enfant a la parole, prend des décisions, vote des règles, élabore des projets, rencontre ses pairs en médiation.
L’enfance et l’adolescence de nos proches n’ont pas de prix, et pour rien au monde je n’aurais été prête, en tant que maman, à troquer ces choix fondamentaux contre une confiscation arbitraire et sans fondement de ma liberté éducative. Je comprends, ô combien, la résistance à l’œuvre chez ces parents désobéissants qui se retrouvent aujourd’hui devant le juge pour se justifier de vouloir s’occuper de leurs enfants.
Réparer les souffrances sociales
Aujourd’hui, de 49.3 en dissolution, nous ne savons même plus exactement qui nous gouverne en cette rentrée. Mais une chose est sûre : nous avons, chacun, un pouvoir citoyen et, en théorie du moins, une capacité de réfléchir par nous-mêmes, en particulier devant les évidences. Les familles qui souhaitent instruire leurs enfants par elles-mêmes ne doivent pas être traitées comme des délinquantes. Elles sont tout le contraire de cela. Et il faudrait de mon point de vue s’inspirer de leur engagement parental pour réparer les souffrances sociales qui explosent et débordent les institutions. Si davantage de parents goûtaient la joie de partager l’existence avec leurs enfants, si l’on prenait plus de temps pour les écouter, pour les accompagner, pour les connaître et les considérer, si des dispositifs de formation et d’information soutenaient une parentalité qualitative, gageons que certaines problématiques sociales s’effondreraient.
L’article 49 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 concernant l’instruction en famille sert aujourd’hui d’alibi aux organismes instructeurs pour contraindre un maximum de familles à renoncer à leur projet parental, et c’est insupportable. Si toutefois il était nécessaire de légiférer pour mieux contrôler certains abus, ce qui reste à démontrer (le dispositif précédent prévoyait un contrôle d’inspection à même de réguler les situations préoccupantes), le but devrait être de soutenir la parentalité bienveillante, et non pas de la sanctionner. Avis au législateur, il est temps de revoir sérieusement ce dossier.
Lorsque la désobéissance civile constitue la seule dissidence réaliste permettant de vivre sa parentalité librement, en échappant (partiellement) au harcèlement administratif, c’est signe de l’échec du législateur pour refléter les besoins de ses concitoyens. En l’occurrence, il ne s’agit pas d’un besoin anodin mais d’un droit fondamental : celui de choisir librement l’éducation pour son enfant.
Par Sophie Rabhi-Bouquet, le 5 août 2024

Educatrice et écrivain, Sophie Rabhi-Bouquet a créé en 1999, une école maternelle et primaire Montessori à la ferme. À partir de 2003, elle développe un écovillage pédagogique et intergénérationnel. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages, dont La Ferme des Enfants, une pédagogie de la bienveillance (Actes Sud, 2011, à découvrir ici). Elle donne des conférences et des formations en pédagogie.
Associations de soutien à l’IEF :
ð Enfance libre : https://www.enfance-libre.fr/
ð LEDA : Les Enfants d’abord / https://www.lesenfantsdabord.org/
ð LAIA : Libre d’apprendre et d’instruire autrement / https://laia-asso.fr/
ð FELICIA : Fédération pour la liberté du choix de l’instruction et des apprentissages : https://federation-felicia.org/liberte-educative/ief/
Pour soutenir la liberté éducative :
– GRRÉ : Groupe de réflexion et de recherche sur l’éducation : https://grr-education.org/ ; et les États généraux de la liberté éducative : https://lesegles.org/
– Fonds de soutien à la défense de la liberté éducative : http://www.educations-plurielles
