Millie Servant, des strass pour l’écologie

COMBATTANTE. Chaque lundi, Combat vous entraîne à la rencontre d’une femme qui change le monde. La rédactrice en chef de Climax, fanzine sur l’écologie, voit dans la nécessité de changer nos modes de vie l’occasion de fédérer autour d’un projet social et politique, autant que de réinventer nos modèles de réussite. Portrait flashy d’un engagement en nuance.

« Mon métier de rêve, quand j’étais à la fac, c’était journaliste à Télérama. » Millie Servant, aussi flashy et colorée que les couvertures de Climax, dont elle occupe le poste de rédactrice en chef, a un sourire qui ressemble presque à une excuse. Excuse d’être venue à l’écologie par la culture, de n’avoir pas eu, comme tant d’autres s’en vantent, le « déclic », ce moment où les journalistes découvrent leur vocation. Non, celle de Millie Servant s’est faite par touches successives, par médias étudiants interposés, à coup de piges et d’entrées gratuites dans les festivals, au fil d’un journal tenu lors d’un Erasmus.

Sensibilisée à l’écologie, fascinée par la culture d’une part, la technologie de l’autre, c’est tout naturellement que cette contributrice régulière d’Usbek & Rica s’est vue proposer une place dans l’ovni Climax. À l’origine simple newsletter pour debunker les discours de greenwashing, le média s’est changé en un fanzine pop et écolo, « un terrain de jeu de 116 pages », comme dirait Millie Servant, qui vise à réconcilier les gens – du moins ceux qui peuvent se payer l’abonnement – avec l’écologie.

Pimpez l’écologie, l’écologie vous pimpera

« J’avais une approche très scolaire de l’écologie, de par mon éducation. Le fait de devoir incarner un média comme Climax m’a permis de prendre davantage position et d’émettre des jugements. » Bonnet fluo vissé sur la tête, Millie Servant, rédac chef avant tout, commence par décrire son travail à Climax. Objectif : contrer la morosité médiatique en matière d’écologie et montrer que ce sujet peut être 1) branché, 2) traité de tout plein de manières différentes, sans nécessairement imposer une profusion de détails techniques. « On crée des portes d’entrée vers des sujets complexes. » Les couleurs, les références à PNL, le ton mordant du fanzine éclatent ainsi comme des munitions de paintball dans une actu que les habitudes journalistiques rendent grise au mieux, sanglante au pire – sauf quand il s’agit d’annoncer la réouverture de Notre-Dame de Paris.

« Quand on parle écologie, ajoute Millie Servant, on a souvent l’impression qu’il ne s’agit que de contraintes et de sacrifices. » Contraintes et sacrifices réalisés, depuis les bureaux confortables des agences de pub où travaille le lectorat cible de Climax, au nom de la raison plutôt que pour limiter les conséquences d’un dérèglement climatique dont ils et elles ne perçoivent pas encore les effets. Le fanzine, pince-sans-rire et pailleté, vise à rendre « branché » le changement de système que les dégradations environnementales occasionnées par le capitalisme nous imposent. Et puis, comme dit l’adage, mieux vaut en rire qu’en pleurer.

Un engagement tout en nuance

Rire ou pas, à l’inverse du média qu’elle porte, Millie Servant se refuse à faire la morale. « Ça ne sert à rien, en général, les gens sont déjà conscients du problème. » Simplement… Non, au contraire : difficilement. Entourée de personnes dont l’engagement ne constitue pas une part du quotidien, au contraire de nombreux militants, la journaliste comprend qu’il ne soit pas si facile de quitter son travail dans une grande entreprise polluante, ou de renoncer d’un coup à des privilèges dont on a joui toute sa vie. Elle-même se garde de se présenter comme modèle. « Je ne suis pas une écolo engagée au sens courant du terme », affirme-t-elle, avant de citer les manifestations auxquelles elle va rarement, le savon artisanal qu’elle ne fait pas, la grande maison qu’elle possède. « Mais je suis consciente du problème, je vote pour les projets sociaux qui offrent des solutions, je finance la presse indépendante… »

À son sens, les procès en militantisme qui découlent de la hiérarchie des actions individuelles (depuis le tri des déchets jusqu’au sabotage des pipelines) manquent leurs cible. « Quand les gens avec qui je vais au restaurant commandent de la viande, raconte-t-elle, ils s’excusent. » Comme si l’idée d’une vertu écolo avait occulté le fait que l’écologie constitue, avant toute autre chose, un projet politique collectif, et non un projet individuel. « Il vaudrait mieux se syndiquer que commander végé au resto. »

Des paillettes pour l’effondrement

Certes. On pourrait cependant répondre que, si les gens rechignent déjà à arrêter la viande, il y a peu de chance qu’ils se syndiquent. Raison pour laquelle Millie Servant voit dans les luttes au nom de l’écologie un combat d’imaginaires. « On a l’impression qu’un monde décarboné, ça implique forcément moins de confort », explique-t-elle, avant de questionner la notion de confort. « Aujourd’hui, c’est l’exotisme et les barbecues, mais ça pourrait être autre chose. » Plein d’autres choses que l’on peine à imaginer, parce qu’on « s’est fait bourrer le crâne par le capitalisme. »

En outre, et c’est ce que les mouvements écologistes occidentaux ont tendance à oublier : « un monde décarboné serait bien plus confortable pour l’immense majorité de la population, française et mondiale », rappelle Millie Servant, pour qui la décarbonation passe forcément par une rupture avec le capitalisme. Une étude d’Oxfam, publiée à l’occasion de la COP29 de Baku, a ainsi tenté d’estimer les préjudices liés aux investissements et modes de vie des franges les plus riches de la population. L’ONG estime que 78 % des cas de surmortalité qui seront dus aux températures extrêmes dans les années à venir surviendront dans « les pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. »

Et maintenant ?

Millie Servant rechigne à se dire féministe, ou du moins militante féministe, parce qu’une fois de plus, elle descend rarement dans la rue. En revanche, elle n’hésite pas à tirer des enseignements des luttes féministes qui ont permis, dans une partie des pays occidentaux, de contrer le modèle de société patriarcale. « Le féminisme n’est pas une lutte purement intellectuelle, s’enthousiasme-t-elle, c’est un mouvement culturel complet ! » Un mouvement avec ses références, ses autrices, compositrices, chorégraphes, street artists et beaucoup d’autres représentantes de ce fouillis magnifique qu’on appelle « culture ».

La journaliste voit donc dans la montée de l’artivisme écolo le signe, encourageant, que les problématiques environnementales imprègnent peu à peu le débat public. « Les entreprises sont de plus en plus contraintes de se positionner sur les questions environnementales, de la même manière qu’il est devenu courant dans les boîtes de faire un bilan égalité des genres. » Certes. Quand on voit toutefois le peu de progrès en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, on est en droit de se demander si l’écologie, elle aussi, ne risque pas de s’empêtrer dans les beaux discours et les réformes de façade. Millie Servant hausse les épaules. « C’est vrai que le temps manque, et qu’on est dramatiquement en retard, reconnaît-elle. Ce serait facile de se dire “à quoi bon ?” » Ce serait facile, mais la journaliste ne le fait pas. Elle y croit encore, ou tout du moins elle croit au fait que l’action est le meilleur remède contre l’anxiété. « Ça me remplit de faire des choses », explique-t-elle en souriant.

Par Louise Jouveshomme

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