Après près de 40 jours de grève de la faim et de quelques jours de grève de la soif, les travaux de l’A69 ont été temporairement suspendus ce mardi 10 octobre. Lettre à celui qui a initié ce mouvement pour marquer cette première victoire. Ce texte a initialement été publié à l’automne 2023.
Cher Thomas,
Merci. Du fond du coeur.
Que valent quinze minutes face à la Vie? Combien de vies contre cette accélération du monde toujours plus poussée et prônée par un profond déni de réalité?
Vous êtes cette vie qui se soulève, se bat, se mobilise, grandit, égrène, pollinise. Vos écureuils et vous êtes cette nature qui se défend, cette voix qui se lève. Ces voix qui chantent la forêt et dansent la Terre.
La raison étatique chante les louanges des armés, de ceux qui partent en guerre. Nous entonnons les vôtres. Vous êtes la protection de nos terres, de notre avenir, de nos enfants. La définition même du Combat. Ils se souviendront de Thomas Brail et de ses amis, nous leur conterons vos luttes, comme les peuples autochtones livrent leurs récits à leurs descendants. Vos noms devraient figurer dans leurs livres d’Histoire comme ceux de héros d’un temps nouveau. Pour mettre un arrêt définitif aux anciens paradigmes, vous avez mis votre santé en péril, dans une définition du courage qui relève de la pureté d’esprit. Vous avez plongé vos corps dans une lutte acharnée dans l’espoir de combattre l’anachronisme de projets écocides, pour le bien commun, celui de l’humain. De la grève de la faim à celle de la soif, analogie de notre monde, du vivant que l’homme fige dans une famine interminable, de notre environnement assoiffé par tant de cruauté.
Nous sommes journalistes, mais nous sommes aussi mères. Demain, devra-t-on aller jusqu’à mourir de faim et de soif pour alerter sur une situation qui met nos enfants en danger ?
Nous sommes le 12 octobre.
Dans nos montagnes, les températures frôlent les 30 degrés.
En bas, on coupe des arbres.
Dans nos montagnes, les rivières sont à sec. Les torrents ont cédé la place à des rigoles de cailloux, des carcasses de terre et de gravier qui s’assèchent au soleil.
En bas, on coupe des arbres.
Dans nos montagnes, les bêtes se traînent et les forêts dépérissent.
En bas, on coupe des arbres.
D’après les derniers rapports officiels, l’Institut National de l’information géographique et forestière, l’Office National des Forêts et le Haut-Conseil pour le Climat s’inquiètent d’une « dégradation significative de la capacité des forêts à capter du carbone. »
La capacité de stockage du CO₂ par les écosystèmes forestiers a été divisée par deux en dix ans.
Nos forêts, qui couvrent plus de 30% du territoire métropolitain et abritent de 80% de la biodiversité terrestre, se meurent petit à petit.
Réchauffement climatique, espèces exotiques envahissantes et déforestation massive les ont prises d’assaut.
Pendant ce temps, en bas, on coupe des arbres.
Quelle est donc cette époque où nous devons nous assoiffer et nous affamer pour nous faire entendre ? Quelle est donc cette société qui réclame des autoroutes et des centres commerciaux alors que la maison brûle ?
Avons-nous choisi une existence peau de chagrin : posséder et aller toujours plus vite au détriment de notre propre vie et de celles qui nous entourent ?
Il y a des siècles de cela, Khalil Gibran écrivait « les arbres sont des poèmes que la terre écrit dans le ciel. » Si les arbres sont des poèmes, notre époque n’est-elle pas un immense autodafé ?
Pour guérir, nous devrons imiter des Thomas Brail, des Julia Hill, des centaines et des milliers de personnes qui ont choisi de faire corps avec l’ensemble du vivant pour nous sauver, ensemble. Il nous faudra être la terre, les herbes, les arbres qui se défendent.
Reprendre notre juste place dans l’univers.
Ni trop haut, ni trop bas ; avec et non plus contre.
Dessiner l’harmonie du monde.
Ecrire des poèmes gigantesques en montagne et en ville, dans les parcs et au cœur des centres commerciaux.
Demain, peut-être raconterons nous à nos enfants : « ils et elles se sont assoiffés pour nous sauver. »
Cela vaudra toujours mieux que de leur dire : « ils et elles se sont assoiffés pour nous sauver, et pourtant… »
Par Jessica Combet et Charlotte Meyer
