Ecocides : la Maurienne défigurée par la servitude

Dans la vallée intra-alpines se joue une véritable réquisition des terres par l’État au profit des industriels. Le tout, dans le plus grand silence.

Pillage des ressources pour faire gonfler les dividendes des entreprises écocidaires, destruction de la biodiversité et des écosystèmes dans une logique spéculative, sacrifice des locaux, riverains, et propriétaires, anéantissement de l’agriculture et du tourisme à taille humaine, pour du plâtre? Oui. Et sans sourciller.  Bienvenue dans le pays de l’inaction climatique et des grands projets inutiles.

Il y a trente ans déjà, le public a eu vent du lancement des travaux de la ligne ferroviaire reliant Lyon à Turin (article à venir bientôt sur Combat). Malgré une tempête de protestations, de mobilisations, alimentée par les défenseurs de la nature, qu’ils soient français ou italiens (collectifs NoTav et Non au Lyon Turin) depuis les années 90, ce projet écocidaire perdure, les tunneliers continuent de creuser dans les roches montagnardes et les bombes d’exploser en son sein. En revanche, d’autres projets climaticides sont menés dans le feutré.

Cartographie d’un secret

La Maurienne, cette vallée enclavée au cœur de pentes tantôt verdoyantes tantôt rocailleuses dans lesquelles se promènent les bouquetins, est devenue au fil du temps l’antre de l’industrialisation rurale. Ici une usine d’aluminium d’où le premier lingot sortait en 1907, sur cette pente une carrière, ici une usine de produits chimiques, des barrages hydrauliques émergeant des cours d’eau, l’agrandissement des stations de ski, l’implantation de fermes photovoltaïque sur des kilomètres de terres arables, deci-delà des retenues d’eau (plus connu sous le nom désormais célèbre de bassines) en haute altitude dans le but de gérer un enneigement de plus en plus inexistant…

Le ciel mauriennais, balayé par le foehn et la lombarde, se teinte de gris. Ses cours d’eau se tarissent, s’assèchent, ils ne ressemblent plus à ce qu’ils étaient il y a tout juste vingt ans. Non, bien-sûr, les responsables ne sont pas les industriels. Non, le coupable n’est nul autre que le cycle climatique naturel de notre planète (n’est-ce pas, M. Béchu…).

À tout ça, que faut-il ajouter pour parfaire le tableau d’une montagne abîmée par la quête de profit ?

Un peu de greenwashing. 1031 hectares de forêts, de terres, agricoles, boisées, belles, fertiles, primordiales à la vie locale autant qu’à la biodiversité, bientôt rasées pour en extraire les éléments nécessaires à la fabrication du plâtre et du ciment : l’anhydrite et le gypse, « nécessaires » à la rénovation énergétique de l’habitat…

Ce projet destructeur servira aux deux entreprises savoyardes qui détiennent le monopole français du marché du BTP, Placoplatre et Vicat, toutes les deux actionnaires de Saint Gobain. Celles-ci ont alerté les Ministres de la transition écologique et de l’industrie sur leurs difficultés d’approvisionnement du fait de l’épuisement des ressources extraites, en Maurienne encore, dans les carrières de St Jean de Maurienne/Saint Pancrace. Ces mêmes ministères ont accédé à la demande de solutions pour un nouvel accès aux minéraux, en avançant ce projet de carrière. Ce ne sont pas moins de 300 à 450 tonnes annuelles de gypse qui transitent par train jusqu’à Chambéry. Pari réussi, il leur aura fallu moins de quarante ans pour dévaster et consommer l’intégralité des ressources mises à leur disposition par la vallée.

Ce sont les habitants des zones prospectées qui ont lancé l’alerte en septembre dernier, alors qu’ils découvraient le projet. Aucune transparence de l’État, qui se garde bien de dévoiler de tels secrets… Quand ils ne sont pas, en prime, suivis par les collectivités.

 L’actuelle carrière de gypse, aujourd’hui à sec. Photo : Saint Gobin, 2016

125 ans de servitude

Le classement ZSC (Zone Spécial de Carrière), par l’État, donne le droit à ces promoteurs de la destruction de disposer de ces terres, et, de fait, d’exproprier les locaux dans le but d’extraire minerais et roches. Et cela pour une durée de … 125 ans.

La dernière fois qu’un tel dispositif a été mis en place remonte à 1963. Date à laquelle a également été inauguré Le Parc Naturel de la Vanoise, joyaux de la vallée de la Maurienne, situé à 1,3 kilomètres de la carrière, classé Natura 2000, dont une zone de 7ha sera incluse, « pour des raisons de simplification du tracé géométrique de la ZSC », peut-on lire dans la décision au cas par cas du 29 mars dernier, demandé au Conseil général de l’environnement et du développement durable par le collectif Non à la Zone Spéciale de Carrières de Maurienne.

Une dizaine de communes sont impactées : St Jean de Maurienne et sa vallée de l’Arvan, Fontcouverte, Villarembert, puis en Haute Maurienne, Bramans (qui sera totalement entouré par la zone de carrière), Modane, Villarodin-Bourget, Aussois, et les stations de ski de La Norma, Solières-Sardières, ainsi que Val Cenis. Un hameau sera également voué à disparaître. Et autant de contestataires du projet, habitants et élus, se soulèvent pour faire front face à cette décision.

Quels impacts sociaux et environnementaux ?

Ecocide et délétère d’un point de vue social, la ZSC devient l’ennemi à abattre. Les animaux d’élevage de la région, dont les fameuses vaches laitières prisées pour le Beaufort AOP, n’auront plus de pâturage. Les fermes se verront délocalisées. C’est toute l’agriculture mauriennaise qui sera touchée par un tel désastre. Certains habitants devront laisser leur propriété. Les forêts seront ravagées.

Il faudra construire des routes pour acheminer les minerais, sans compter l’impact carbone des entreprises, des camions transporteurs, l’eau utilisée pour lutter contre la poussière, l’impact sur les animaux sauvages, les insectes, qui eux aussi n’auront d’autre choix que de se délocaliser pour fuir poussières, engins, ouvriers, sols délabrés et bruits d’explosions dans les gisements.

Enfin, les risques d’érosion, de glissements de terrain, de pollution et d’assèchement des derniers cours d’eau provenant des sommets sont à mettre sur le devant la scène qui va se jouer dans les prochains mois entre promoteurs et riverains. Entre politique et environnement. Entre hégémonie financière et bien commun.

Prise de position et recours

Le collectif Non à la Zone Spéciale de Carrières en Maurienne se mobilise et lutte contre ce projet écocide, voué à tuer progressivement l’économie de la vallée. Il a lancé une pétition qui a réuni à ce jour plus de 13 000 signatures. Ses membres ont également, comme cité précédemment, fait la demande au Conseil général de l’environnement et du développement durable d’avancer au cas par cas.  

De plus, les demandes relatives au Schéma de Cohérence Territorial du syndicat des pays de Maurienne, sont contradictoires sur bien des aspects. Il est fait mention, dans ce bilan, que doivent être mises en avant des solutions pour « impulser et mettre en œuvre les transitions écologiques et énergétiques pour réduire la vulnérabilité du territoire au changement climatique et pour lutter contre les gaz à effet de serre », ou bien encore l’importance de « valoriser l’agriculture en tant que fonction économique majeure du territoire (…) pour répondre aux besoins alimentaires locaux dans une logique de circuit court (…). Préserver les terres agricoles stratégiques comme espace de production (…). » Il est également fait cas d’un besoin de réduire «la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (…) ».

La ruralité s’est transformée en champ d’investigation des industriels. Pendant longtemps la raison employée résidait dans la modernité, aujourd’hui le discours a changé, pour aller vers une supposée transition écologique, une fausse croissance verte, un greenwashing institutionnalisé et instrumentalisé pour le profit de quelques-uns. Mais la montagne se soulèvera, et ne laissera plus passer ces désastres écologiques.

Par Jessica Combet

 L’actuelle carrière de gypse, aujourd’hui à sec. Photo : Saint Gobin, 2016

Laisser un commentaire