Alicia Ambroise : son combat pour libérer les victimes d’une loi archaïque

Chaque lundi, Combat vous fait découvrir une femme qui change le monde à sa manière. La jeune femme de vingt-six ans qui se bat corps et âme pour faire changer la loi sur l’obligation alimentaire.

C’est une loi napoléonienne vieille de 1805 : « les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin.” Quand elle a appris, il y a quelques années, le viol de sa soeur de coeur par son géniteur, Alicia a décidé de rompre tout lien avec celui-ci. Cependant, elle s’est vite confrontée à la dure réalité juridique : il n’est actuellement pas possible, en France, de couper l’attache juridique qui nous lie à nos parents. 

« Marche ou crève »

Selon une étude d’Arnaud Fizzala publiée en 2016, on estime qu’environ 75% des personnes âgées vivant en établissement ne peuvent pas financer leurs frais de séjour via leurs ressources courantes. Ce sont donc leurs enfants qui, s’ils en ont la possibilité matérielle, doivent verser une pension à leur(s) parent(s). 

Or, pour les enfants qui ont eu des parents défaillants ou maltraitants, cela est impensable : comment verser de l’argent à son bourreau ou à quelqu’un dont on connaît les crimes ? Certes, un recours devant un.e juge aux Affaires Familiales est possible. Cependant, ce dernier doit exiger des preuves de la défaillance du parent. Mais comment prouver des agressions sexuelles quarante années plus tard ? Quels moyens a-t-on pour expliquer à un juge qui ne nous connaît pas que notre parent a failli à son rôle de protecteur ? 

Quand on sait qu’un.e Français.e sur dix est ou a été victime d’inceste et qu’un.e sur huit subit ou a subi des maltraitances durant l’enfance, comment peut-on encore exiger de ces victimes qu’elles entretiennent ceux qui ont brisé leur vie ? 

Lorsqu’Alicia Ambroise est sortie de chez la juriste à qui elle avait demandé conseil, sa détermination à faire bouger les choses était sans précédent : “c’était vraiment ‘marche ou crève’.  Je me disais ‘soit tu fais en  sorte de changer les choses, soit tu ne vas pas réussir à vivre en sachant qu’il y a cette injustice là qui plane au-dessus de ta tête.’” 

Pour Alicia Ambroise, « rendre l’amour familial plus libre ne pourra que renforcer les liens familiaux en France.

La naissance d’un projet

Le destin faisant bien les choses, la jeune femme rencontre Marine Gatineau-Dupré, la fondatrice du collectif Porte Mon Nom, quelques semaines plus tard. Ce collectif est à l’origine de la loi de mars 2022 concernant le changement de nom d’usage. Ensemble, elles coprésident désormais le collectif Les Liens en Sang pour changer la loi sur l’obligation alimentaire. “J’ai fondé ce collectif pour toutes les victimes de parents maltraitants ou défaillants. Pour elles, c’est une double condamnation alors qu’elles ne sont responsables de rien. Elles doivent non seulement replonger dans un passé extrêmement douloureux, mais elles doivent aussi réintégrer leur bourreau dans leur vie en lui versant de l’argent.” 

Aujourd’hui, la loi est faite de telle façon qu’il est quasiment impossible d’être exempté.e d’obligation alimentaire en cas de besoin du parent. “On sait aujourd’hui que les trois quarts des maltraitances ne sont jamais sus et ne sont jamais punis au regard de la loi. On sait aujourd’hui que, par exemple, pour le cas de l’inceste, seulement 20% des victimes parlent et vont devant la justice. Et sur ces 20%, là, on n’a que 1% de condamnation des agresseurs. Donc, il y a moins de 1% des victimes d’inceste qui seront exemptées de cette obligation alimentaire.” Le reste devra prouver ce que personne ne veut croire. 

La bataille législative ne fait que commencer

Pour faire changer cette loi incohérente, Alicia Ambroise et Marine Gatineau-Dupré ont contacté Xavier Lacovelli, le sénateur des Hauts-de-Seine. Celui-ci s’est emparé du sujet et, ensemble, ils ont construit une proposition de loi qui a été débattue au Sénat. La commission des lois, dirigée par Madame Mercier, l’a rejetée. En effet, “le rapporteur estime […] que le droit en vigueur permet déjà de satisfaire l’objectif poursuivi par cette proposition de loi”.

Alicia Ambroise réagit : “cette phrase illustre clairement un refus de reconnaître les difficultés soulevées par nos actions. Les milliers de témoignages de victimes et de professionnels que nous avons recueillis mettent en évidence, de manière incontestable, les défaillances du système actuel. Fermer les yeux sur cette réalité revient à mettre sous le tapis le destin de millions de victimes d’inceste et de maltraitance, dont les chiffres témoignent de l’ampleur du problème et du manque de reconnaissance par la justice.” Il reste à peine quelques jours pour faire changer d’avis un grand nombre de sénateur.ices, jusqu’au 23 octobre 2025. “Interpellez vos sénateurs, interpellez vos sénatrices. Soyons humains. Soyons justes”, insiste-t-elle. 

Enfin, la jeune femme précise : “il y a beaucoup de personnes qui ont peur qu’on abîme les valeurs familiales. Je pense au contraire que cela va les consolider, dans le sens où la famille n’est pas régie par des obligations. La famille est régie par l’amour. Et l’amour ne s’oblige pas. C’est naturel. Rendre l’amour familial plus libre ne pourra que renforcer les liens familiaux en France.

Par Capucine Bastien-Schmit

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