Jérôme Attal – « Tous les romans sont des lettres d’amour »

« On ne prémédite pas de tomber dingue d’une personne. On n’a pas envie de se rendre malade. Au début, une image, une parole prononcée, un regard, nous reviennent pas éclats. Et puis soudain, on s’aperçoit qu’on ne pense plus qu’à elle, qu’un sentiment qui nous dépasse a infusé de manière aussi sombre et inévitable que le fond d’une théière attaquée par le tanin et qui en révèle dorénavant la singulière beauté. »

C’est un livre à l’image de l’événement qui l’inspirât. Un livre comme un cocon pénétré de douceur. Une lecture lumineuse entre rires et nostalgie. Sonore et tendre, carillonnant, comme le souvenir d’un baiser. Dans un monde en plein essoufflement,  il offre une petite bulle hors du monde, une alcôve impénétrable.

Comme pour 37, étoiles filantes, Jérôme Attal a su saisir ce petit détail de la vie que l’Histoire laisse parfois filer. Après s’être inspiré d’une brouille entre Jean-Paul Sartre et Giacometti, c’est d’une phrase piochée dans les Mémoires d’Outre-Tombe que s’est tissée l’histoire de la Petite Sonneuse de Cloches. « J’entendis le bruit d’un baiser, et la cloche tinta le point du jour. » Telle est la phrase de départ.

1793. Le jeune Chateaubriand, bien loin de la réputation qui lui tient aujourd’hui, sillonne les rues de Londres. « Pas un shilling en poche », le ventre criant famine, il s’accroche à son avenir d’écrivain. Jusqu’au soir où, par accident, il se retrouve enfermé dans l’abbaye de Westminster. Et au milieu des sépultures où il somnole, l’amour vient carillonner. Cet amour s’appelle Violet. Ce soir-là, elle déposera sur son cœur affamé le souvenir d’un baiser. Dès lors, François-René n’a plus qu’une idée en tête : la retrouver.

Bond en avant. Le professeur de littérature française Joe J. Stockholm meurt. Dans ses affaires, son fils Joachim retrouve le début d’un chapitre consacré à cette mystérieuse petite sonneuse de cloches. Intrigué, le jeune homme se rend à Londres dans le but de poursuivre la quête de son père. Le voilà qui marche dans les pas du grand écrivain romantique, traversant les mêmes rues, écumant les mêmes quartiers. Mais quelqu’un d’autre se penche également sur la question. Elle s’appelle Mirabel, une bibliothécaire de Marylebone aux « cheveux fins couleur miel. » Une fois encore, cette étrange coïncidence ne laissera pas les cœurs de marbre.

C’est cette double chasse amoureuse, séparée par des siècles de différence, et pourtant si semblable, que Jérôme Attal fredonne dans son nouveau roman. Du bout de sa plume frissonnante, tantôt rieuse, tantôt le cœur débordant, il nous entraîne à sa suite dans cette capitale qu’il aime tant. C’est une histoire que l’on murmure au coin du feu, un amour dans toute sa pureté et ses couleurs. L’auteur la fait résonner d’une écriture poétique et délicate comme un secret partagé.

« La naissance d’un amour, c’est une faim qui ne se trompe par aucun subterfuge. »

 « Après 37, étoiles filantes, j’avais envie de retrouver Londres. J’aime beaucoup cette ville. Surtout, j’aime beaucoup ce mélange de classicisme et d’originalité des Londoniens. »  Cet amour pour la capitale britannique, Jérôme Attal le distille allègrement dans le sillage de Joachim et François-René. D’Oxford Street à Covent Garden en passant par les quartiers de Bloomsbury et Marylebone, les deux protagonistes viennent réveiller chaque pierre de la ville. On verrait presque s’extirper d’entre les pages les « sirènes iridescentes » toutes enveloppées de pluie, les chaises à porteurs dépassant les cabriolets de Covent Garden, et puis par moment, les délicieuses fragrances des gingerbread muffins  et des carrot cakes. « Je voulais écrire sur un Français qui aurait vécu à Londres, qui aurait eu comme moi cette sensibilité pour la ville. Trouver ce personnage et l’incarner, un peu comme Giacometti. Puis j’ai relu Chateaubriand. La première fois qu’il a été à Londres, c’était un migrant français de 25 ans, miséreux, qui voulait être écrivain. La deuxième fois, il était un ambassadeur célèbre qui avait fini par connaître des succès littéraires. Evidemment, sourit Jérôme Attal, c’est la première fois qui m’a plu. C’est la plus romanesque, la plus romantique. » Pourtant, l’auteur n’avait jamais eu de lien particulier avec cette grande figure du romantisme. Du moins, c’est ce qu’il pensait encore il y a peu. « Quand j’étais jeune, après mon bac, je suis partie faire mes études à Paris, à la Sorbonne, raconte-t-il. Pendant quatre ans j’y ai vécu rue du Regard. Et il y a à peine quelques jours, en repassant dans cette rue, je suis tombée sur une plaque de l’hôtel de Beaune où il était indiqué que Chateaubriand y avait vécu de 1825 à 1826. Et dire que pendant plusieurs années j’ai vécu juste en face ! »

La petite sonneuse de cloches

Le lecteur assidu l’aura compris : Jérôme Attal aime les correspondances entre hier et aujourd’hui. Déjà dans 37, étoiles filantes, il faisait subtilement se refléter notre société dans celle du Paris des années folles. « A l’époque où sortait mon dernier roman, l’actualité résonnait comme en 1937. Je me souviens d’ailleurs d’une phrase d’Emmanuel Macron qui y faisait référence. C’était juste après la sortie de mon livre. Les informations tournaient énormément autour de la guerre, avec Paris en arrière-plan, comme dernière bulle d’insouciance. » Ce jeu de correspondances l’a à nouveau saisi lors de l’écriture de la Petite Sonneuse de Cloches. « Au fur et à mesure que j’écrivais, tout me ramenait vers 1793, se souvient Jérôme Attal. Je pense par exemple à la multitude de débats sur les migrants. Alors que l’UNICEF déclarait qu’on n’est jamais migrants par choix, j’étais frappé de constater que les Français qui partaient en Angleterre au XVIIIème siècle étaient considérés comme des migrants. Et puis, au même moment, difficile de ne pas faire le lien entre la prise de la Bastille et les gilets jaunes à l’Arc de Triomphe. » Chateaubriand, confie Jérôme Attal, c’est aussi le reflet d’une idée qui lui ressemble plus. « C’est cette idée qu’on a été éduqués pour un monde qui n’existe plus. Et aujourd’hui, on est revenus à cette frontière, ce moment où tout est sur le point de disparaître. J’aime cette idée de fin du monde, celle que vécut aussi cet écrivain. » Il sourit : «Et Chateaubriand, je voulais le faire crever d’amour comme une flamme.»

« J’aimais cette loi d’être ensemble que nous écrivions spontanément tous les deux, ces petites connivences comme des diamants persistants dans les souvenirs embrouillardés. L’acclimatation, le début d’un lien, la chaleur d’un pull. Une porte franchie. »

Car La Petite Sonneuse de cloches est avant tout un roman d’amour. C’est un livre regorgeant de rencontres colorées, de coups de foudre éclatants, des scènes revigorantes. « A cette époque, la révolution est double, dit Jérôme Attal. Il y a non seulement la révolution française, mais il y a aussi la nouvelle manière d’envisager les relations amoureuses. Avant, c’était les Liaisons Dangereuses, on batifole, il y a l’incarnation du corps, du désir. Puis d’un coup on passe à des auteurs comme Victor Hugo ou Alfred de Vigny. Chateaubriand est un des premiers romantiques qui va faire bousculer le rapport amoureux. » Et quelques siècles plus tard, Joachim rencontre les mêmes problèmes d’amour que l’écrivain romantique. « J’ai aimé revenir à ses 25 ans, le faire tomber amoureux. Ça donnait un côté Da Vinci Code amoureux qui me plaisait beaucoup. Quelle que soit l’époque, on est tous ce jeune homme devant le frisson amoureux. » Après un moment de réflexion, il ajoute : « Tous les livres sont des lettres d’amour. Parce qu’au fond, l’amour, on ne vit que pour ça. »

 « Toute ma vie, il me semblait avoir recherché des êtres qui me feraient vivre des « instants maison ». Ce que j’appelle des « instants maison » sont des instants où l’on se sent soi-même, à une distance la plus infime possible entre ce qu’on est et l’image qu’on se fait de sa présence sur terre, sans vouloir toujours chercher ailleurs, comme une âme errante, une personne de plus, prompte à nous réinventer. »

Ces « instants maison » dont parle l’auteur se sont glissés bien en vue entre les pages de son roman. Eparpillés par touches dorées, on les retrouve dans la brume d’une fenêtre où danse une jeune Anglaise à la lueur des flammes, dans un café aussi réconfortant qu’une tasse de chocolat chaud. « Mon idéal de scène, c’est lorsque Mirabel et Joachim se retrouvent dans un café. Quand je dis scène idéale, c’est autant avec une fille que dans la littérature, sourit Jérôme. C’est ce moment merveilleux où tu n’as plus besoin de quelqu’un d’autre pour tout réinventer ou continuer d’être toi. C’est quand tu vis des choses avec des gens, quand tu voudrais que ce petit moment si précieux dure toujours. Que tout s’arrête au milieu des flammes. Mais rien ne dure toujours. »

« Elle est là. Il ne reconnaît ni son rire parmi les rires, ni sa voix parmi les voix, ni son souffle parmi les souffles, mais il sait qu’elle est là. Il se fie à ses jambes qui tremblent, aux battements effarés de son cœur, à la dégringolade qui s’opère à l’intérieur. »

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François-René de Chateaubriand, tableau d’Anne-Louis Girodet

Loin d’être pessimiste, Jérôme Attal distille ces moments rêvés dans ses histoires. Il l’écrit d’ailleurs : « Dès que j’écris, je milite pour un monde où la magie opère.» Son but : rendre l’envie plus éveillée, plus performante. «J’espère que quand j’écris des phrases que je pense jolies, ça rejaillit à tout jamais, ça dénoue des choses, ça ouvre des perspectives. » Jérôme mêle dans ses romans les bribes de son cœur et des rêves palpitants. Du bout de sa plume, il dessine un monde où sa réalité embrasse ses idéaux : leur rencontre provoque une étincelle. « A un moment, c’est Violet qui prend l’initiative dans son histoire avec François-René, se souvient-il. J’aime ce monde où les filles prennent des initiatives ! » Et puis, il y a aussi ses thèmes récurrents… comme l’amour impossible. « Je pense par exemple à cette scène où Chateaubriand essaie de rejoindre Violet mais impossible. Il y a le stéréotype du mec relou qui le colle. Et bien ça, c’est la quintessence de ce que je vis, rit-il. Ces moments où tu attends la fille de tes rêves, mais il y a toujours quelqu’un qui vient te parler à ce moment-là. Je crois que c’est un des thèmes qu’il y aura toujours dans mes romans. Ça fait partie de ces quelques thèmes dont parlait Truffaut, ceux qui nous reviennent tout le temps. Il y a ce moment dans 37, étoiles filantes, que j’aime beaucoup. Giacometti est assis loin de la fille qu’il aime. Il pétrit une sculpture en lui tellement il est malheureux. » Pendant qu’il écrit, Jérôme essaie de changer, de dépasser cette impasse durassienne en quelque chose de plus léger, en un territoire.

Marguerite Duras, c’est le grand amour littéraire de Jérôme Attal. Ses yeux s’illuminent quand on prononce son nom : « J’adore son rapport à l’amour absolu, sa conception de l’écriture comme un cri. Duras, c’est quelque chose qui te prend immédiatement, une instantanéité. D’ailleurs, ça me fait un peu penser à Bacon, son étoile qui hurle sans bruit. Il y a toujours ce cri à la fois baconnien et durassien quand tu es troublé par quelqu’un, ou par quelque chose. » Il poursuit : « Mon Chateaubriand, je l’ai empaillé avec une moitié de Duras et une moitié de moi-même. »

« Les livres sont faits pour durer plus longtemps que les passions inextinguibles qui les commandent, mais ne les secouez pas trop, ils sont pleins de vérités tues que le cœur ne pourrait supporter de garder pour lui seul. »

Pour Jérôme Attal, les livres sont « des refuges. C’est pour cette raison qu’il ne faut pas qu’ils soient trop tristes. La réalité est assez difficile comme ça, inutile de rajouter des pelletées de dureté. » Alors il fait carillonner des phrases qui restent dans la tête, des phrases qui palpitent encore longtemps sur nos lèvres une fois le livre rangé sur l’étagère. Mais si « la beauté est un baume fugitif », l’auteur espère que la beauté « périt plus vite que l’émotion d’un roman. » Un peu comme l’amour, encore une fois. « Une personne que tu aimes, c’est comme un roman que tu feuillettes sans cesse, à la recherche d’une jolie scène, de beaux instants. On se demande ce qu’il va se passer, quelle sera la suite. On a tous des romans en soi. Des personnes que l’on aime. »

Pourtant, l’auteur a dû attendre d’être étudiant pour découvrir son goût des livres. « Je n’ai presque pas lu jusqu’à 18 ou 19 ans, se souvient-il. Sauf peut-être Charlie et la Chocolaterie. Je lisais surtout des Marvel, parce que c’était romantique. Ma mère était plus livres d’art. Et puis, quand je suis arrivé à Paris pour mes études, j’ai eu soudain envie de livres. C’était une envie physique aussi. J’en avais besoin comme d’une rampe, un compagnon pour marcher dans Paris. A partir de là, j’ai toujours eu un livre en main. C’était un refuge qu’il me fallait tout le temps. » Passant la majeure partie de son temps entre Raspail, Saint Michel et Saint Germain des Prés, son « triangle des Bermudes », celui qui aime à se définir comme « un prince désargenté, Chateaubriand sans connaître Chateaubriand » tombe amoureux de Paris en même temps que de la littérature… même si le terme le laisse encore sceptique. « J’aime ce qui me touche, explique-t-il. Il y a des choses bien écrites qui me laissent froid. » Amoureux de Salinger, Duras et Dostoïevski, Jérôme écrivait pourtant depuis toujours. « J’écrivais sans lire, raconte-t-il. Depuis petit, c’était des poèmes, des nouvelles, des lettres d’amour. Ça a toujours été mon mode d’expression, ma manière d’intervenir dans le monde. » L’écriture a d’abord été pour lui un espace pour dire les choses qu’on ne peut pas vivre dans la vie. « Malheureusement, ou heureusement je ne sais pas, on ne peut pas tout vivre. Dans la vie, on n’a pas toujours la force, le pouvoir, ni la capacité d’agir sur les choses qui nous bouleversent et qui la rende triste. Le livre, c’est cet espace où je me sens en sécurité par rapport à l’insurmontabilité du quotidien. »

« Je poursuis cette idée que derrière une phrase en apparence banale, il peut se cacher un monde fabuleux ou déçu, un chemin qu’on n’a pas pris, un secret indicible, un espoir ou une promesse. »

Marguerite Duras
Marguerite Duras, Photo Roger Parry © Éditions Gallimard

C’est avec son blog que Jérôme a fait son entrée dans le milieu littéraire. A l’époque où il faisait partie d’un groupe de musique, il tenait un journal en ligne. «A l’époque, ça ne se faisait pas encore trop, explique l’auteur. J’avais parfois jusqu’à 6 000 lecteurs par jour, il y avait même des étudiants d’Oxford qui se connectaient tous les soirs pour lire la suite de mon quotidien ! Ce blog rejoignait vraiment la notion que j’ai des romans aujourd’hui. Cette idée d’espace, de territoire, où le lecteur peut aussi se retrouver. » Aujourd’hui, Jérôme Attal a la sensation d’avoir réduit la distance entre ses goûts de lecture et son écriture. Il dit d’ailleurs avoir un rapport « instinctif » avec cette dernière : « contrairement à ce qu’on pourrait croire, commencer par l’écriture plutôt que par la littérature est très libérateur. Je n’ai pas cette religion des Lettres. J’ai fait mon arrivée sans modèle écrasant, sans religion, en privilégiant l’émotion. J’ai la liberté d’écrire ce qui me touche. » Quant à la musique, elle est toujours présente. « J’essaie de faire que ce soit cohérent, qu’on y retrouve le même univers, le même esprit, indique Jérôme. J’aime qu’on y retrouve ma musique, la même voix que dans mes chansons. » D’ailleurs, il signe un prochain livre sur les Beatles. « John Lennon, c’est le Beatles le plus durassien, sourit-il. Lui il pourrait porter un col roulé à la Duras ! Et moi, je suis un peu hybride. La douceur de Paul et les hurlements de John. »

Des projets, Jérôme Attal en fourmille. Musique, romans, livres pour enfants, il n’est pas prêt de s’arrêter. « L’écriture, c’est comme un prolongement de moi. C’est ce qui me permet de continuer à élaborer un univers. Je suis parfois tellement traversé qu’il faut que ça déborde, c’est presque une tempête intérieure. Et les mots sont plus forts que tout. C’est eux qui épongent notre tristesse et nos mélancolies. » Le regard rêveur, il conclut : « C’est aussi mon arme dans cette lutte contre le côté éphémère des notions, des choses qu’on peut ressentir, avoir, des choses qui se passent. Dans cette vie versatile où les émotions se perdent, l’écriture est ma stabilité. »

-Vous avez vu l’état du monde ? Bientôt, il y aura le feu partout et plus aucun coin où se tenir.

-Alors nous danserons au milieu des flammes

Image à la Une : Jérôme Attal chez Zoé Ferdinand © Charlotte Meyer 

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