
Chaque week end, Combat décrypte le sujet que VOUS avez choisi en début de semaine. Cette fois-ci, vous avez sélectionné le sujet sur la 5G.
Amish vs startupers, prudence vs progressisme… Ces dernières semaines, le débat autour de la mise en place de la 5G a été constamment ringardisé, ramené à la confrontation caricaturale entre « amoureux de l’innovation » et « défenseurs de l’environnement. » De parts et d’autres de la planète, des manifestants s’opposent à la 5G aux cris de « 5G Nocide », jusqu’à détruire des infrastructures électriques. Alors que l’échange est au cœur de l’actualité, la confrontation d’arguments parfois méprisants a vite empêché tout débat rationnel, au point qu’il est difficile aujourd’hui de se construire une opinion éclairée sur la question. Quelle est la réelle utilité de la 5G ? Quels sont les impacts sanitaires, écologiques mais aussi démocratiques et géopolitiques de ce réseau ? Et surtout, que dit ce débat sur notre rapport avec le progrès ?
Ce que veut (vraiment) la 5G
Le 2 octobre, la vente aux enchères des premières fréquences 5G aux opérateurs français (Orange, SFR, Free, Bouygues Telecom) a rapporté 2.786 milliards d’euros à l’Etat. L’acquisition de onze blocs de fréquences par ces opérateurs, acquis pour la plupart par Orange, rend désormais possible l’ouverture de premiers services 5G dans des villes du pays dès la fin de l’année. Cette acquisition a eu lieu alors même que le débat autour de l’adoption de la 5G continue de faire rage. L’été dernier, une soixantaine d’élus avaient signé une tribune, demandant ouvertement au gouvernement un moratoire jusqu’à l’été 2021 sur le déploiement des fréquences. Un moratoire que l’on retouve aussi dans les propositons de la Convention Citoyenne pour le Climat. Alors pourquoi un tel engouement pour le réseau cinquième génération ? Est-ce vraiment, comme le revendiquent certains, une « nouvelle révolution » ?

De manière générale, la 5G permettra avant tout d’accélérer le débit des données transitant par nos téléphones portables, soit une « 4G+ ». Cela signifie par exemple des téléchargements plus rapides.
En réalité, ce n’est pas la 5G en elle-même qui est considérée comme une « révolution » mais plutôt la manière dont elle sera couplée à l’Internet des objets et à l’intelligence artificielle. L’adoption de la 5G est un nouveau pas vers la mise en place d’objets intelligents ou de véhicules autonomes, ce que l’on appelle encore aujourd’hui « la ville du futur. » La 5G pourrait également considérablement transformer les modes de production et les capacités de la médecine. Ses promoteurs voient en cette cinquième génération de réseau la possibilité de développer la télémédecine : il serait alors possible d’opérer aux quatre coins du monde sans quitter son fauteuil. En février 2019, la première opération chirurgicale télémonitorée sur un humain avec la 5G a eu lieu par un médecin espagnol. Depuis la scène principale du Mobile World Congress (MWC) de Barcelone, le chirurgien Antonio de Lacy a opéré un patient de l’Hospital Clinic de Barcelone, situé 5km plus loin. Avec un temps de latence de seulement 0.01 secondes (contre 0.27 secondes avec la 4G), le médecin a pu apporter conseils et apports techniques en temps réel. Plus récemment, en juillet 2020, des médecins italiens ont réalisé une greffe des cordes vocales à 15km de distance de leur patient en contrôlant un appareil robotique. C’est là l’apport principal de la 5G : avec l’amélioration de la télémédecine, les experts espèrent pouvoir résoudre les problèmes des déserts médicaux. A noter toutefois qu’il s’agit bien là d’améliorer la téléchirurgie et non pas de l’inventer : la première chirugie à distance a eu lieu… le 7 septembre 2001, soit à l’époque de la 3G. Une patiente de 78 ans, située à Strasbourg, avait subi l’ablation de sa vésicule biliaire guidée par le pofesseur Jacques Marescaux et son équipe depuis New York, soit à 7 000 kilomètres de distance. L’objectif de la 5G serait donc davantage de généraliser et améliorer ce procédé. Pour ses opposants, cela relativise la véritable urgence du réseau. Jean-Baptiste Fressoz, chercheur au CNRS, estime ainsi qu’il « n’y a aucune eproposition sérieuse sur l’utilité de la 5G… le débat est particulièrement ubuesque. »
Un autre enjeu de la 5G est géopolitique. En 1994, le président chinois Jiang Zemin, déclarait au fondateur de Huawai, Ren Zhengfei, lors d’une conversation téléphonique que les télécommunications sont « une affaire de sécurité nationale. Pour une nation, ne pas posséder ses propres équipement dans ce domaine, c’est comme ne pas avoir d’armée. » La comparaison opérée il y a près de trente ans entre la télécommunication et l’armée met bien en lumière l’intérêt politique et diplomatique du déploiement de la 5G : d’un côté, les équipementiers internationaux mènent une compétition sans borne pour savoir qui dominera le marché. De l’autre, la question de la souvernaité des données est de plus en plus centrale dans les conflits étatiques. Il suffit de se pencher sur la « polémique-Huawei » entre les Etats-Unis et la Chine, Washington accusant le premier fournisseur d’équipements télécoms d’activités d’espionnage. Mais ça, c’est encore une autre histoire.

Un impact écologique négligé ?
D’après les premières études –menées en grande partie par les opérateurs télécoms- la 5G devrait être plus économe en énergie que la 4G : alors que le signal radio est émis de manière permanente avec la 4G, le déploiement d’antennes intelligentes permettra de n’émettre un signal que quand elles seront sollicitées par un terminal (lorsqu’un utilisateur sera à proximité). Orange expliquait par exemple que « pour acheminer 1 Go de données, la 5G utilisera deux fois moins d’énergie que la 4G à son lancement. » En réalité, la facture énergétique dépendra surtout des usages, qui ont tendance à se multiplier. Sur le long terme, la hausse de la demande de données créées par le très haut débit pourrait mener à un « effet rebond ». Un effet rebond se produit lorsque les gains environnementaux obtenus grâce à l’efficacité énergétique s’annulent par une augmentation des usages. Or, le think tank The Shift Project, qui vise à réduire la dépendance de l’économie aux énergies fossiles, a estimé en janvier dans Le Monde qu’avec la 5G « la consommation d’énergie des opérateurs mobiles sera multipliée par 2,5 à 3 dans les cinq ans à venir, soit une augmentation de 2 % de la consommation d’électricité du pays. » A ne pas oublier aussi que, hors 5G, la consommation d’électricité de tous les datas centers de France est énorme : en 2015, le Réseau de Transport d’Electricité de France (RTE) l’estimait à 3 TWh, soit plus que la ville de Lyon.
Encore une fois, l’impact énergétique de la 5G serait aussi indirect. L’enjeu est bien plus large que le simple réseau : celui-ci va demander davantage d’énergie pour les nouveaux équipements liés, comme les smartphones et objets connectés. L’extraction des métaux et le processus de fabrication de ces éléments est aussi à prendre en compte : selon l’Agence de la transition écologique (Ademe), 47 % des gaz à effet de serre générés par le numérique sont dus aux équipements des consommateurs. A compter aussi sur le coût de l’obsolescence programmée : en France, alors que l’on change en moyenne de téléphone tous les 20 mois, seulement 15% des rebuts passent en circuits de collecte selon l’Ademe. Or, ce ne sont pas moins de 75.44 milliards d’objets connectés qui sont annoncés pour 2025. Selon le sociologue Dominique Boullier, « le numérique rend les déchets totalement invisibles. Un peu comme le nucléaire. » En Russie, des premiers cimetières pour robots ont même déjà vu le jour.
Un autre impact indirect pourrait être le suivi des prévisions météorologiques et du changement climatique. Le déploiement des bandes 26GHz inquiète les scientifiques car les satellites météorologiques utilisent des fréquences très proches. A l’avenir, il pourrait être plus difficile de mesurer la concentration en vapeur d’eau de l’atmosphère. Cela sans compter la part déjà importante du numérique dans notre bilan environnemental : Selon une étude de juillet 2019, de The Shift Project, Internet représente aujourd’hui 4% des émissions mondiales de CO2 contre 2,8% pour le transport aérien civil, et sa consommation énergétique s’accroît de 9 % par an. Cette part pourrait donc doubler d’ici 2025 pour atteindre 8 % du total – soit la part actuelle des émissions de CO2 des voitures au niveau mondial.
Un autre débat en cours : l’impact de la 5G sur les insectes. Selon plusieurs revues scientifiques, dont la réputée Nature, l’augmentation des ondes de la 5G (qui peuvent monter jusqu’à 120 GHz contre 6 Ghz pour la 4G) peut faire augmenter leur température corporelle.

Impact sanitaire : le grand oublié du débat
Ces dernières semaines, le débat a pu prouver une chose : aucune étude scientifique, poussée et officielle ne permet de déterminer les réels impacts de la 5G sur notre santé. Les seules études menées jusqu’à présent, et qui concluent à un impact sanitaire nuancé de la 5G, ont été menées par des physiciens appartenant aux laboratoires des télécoms : il s’agit donc d’une étude qui n’est ni neutre, ni médicale. En septembre 2017, plus de 170 scientifiques issus de 37 pays avaient signé une tribune pour demander un moratoire en attendant d’avoir de vraies évaluations scientifiques. Parmi eux, le cancérologue Dominique Belpomme – actuellement en procédure disciplinaire du Conseil national de l’ordre des médecins pour avoir sorti un certificat médical attestant d’un « syndrome d’intolérance aux champs électromagnétiques » délivré à des personnes souffrant d’électrosensiblité. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié en janvier 2020 un rapport de 74 pages concluant à « un manque de données scientifique sur les effets biologiques et sanitaires potentiels liés à l’exposition aux fréquences autour de 3.5 Ghz » (la bande de fréquence utilisée par la 5G NDLR) et prépare un nouveau rapport pour 2021. En réalité, il est faux d’affirmer que les ondes électomagnétiques n’ont aucun effet sur la santé. L’OMS les a déclarées cancérogènes en 2011. Celles-ci doubleraient même le risque de leucémie infantile. Quant au manque d’informations sur ce sujet, si la recherche est très peu visible et soutenue en France, des études existent bel et bien : un corpus de plus de 10.000 études internationales prouve que les grandes maladies qui vont crescendo ces dernières années (cancers, diabètes, maladies chroniques…) sont de plus en plus provoquées par la pollution électromagnétique. Un document de l’Agence nationale des fréquences (ANFR) a également montré que l’exposition aux ondes progresse crescendo avec la 5G.
Pour le toxicologue André Cicolella, le développement de la 5G est pour le moment un grand risque : « on innove dans la technologie sans en évaluter les dangers. Depuis des décennies, on contamine l’écosystème, ce qui crée en plus des maladies chroniques. » Les médecins appellent à une plus grande mesure de l’impact de la 5G sur notre environnement et notre santé, une étude qui pour le moment n’existe pas. En mars 2019, une nouvelle tribune réunissant citoyens, scientifiques et membres d’organisations environnementales demandait urgemment l’arrêt du déploiement de la 5G au motif que celui-ci « entraînera une augmentation considérable de l’exposition au rayonnement de radiofréquence » et de ses « effets nocifs. »
La réponse la plus honnête quant aux interrogations sur les effets exacts de la 5G sur la santé est donc qu’on ne sait pas. Ce qui, pour les opposants à la 5G, est déjà un risque.

La démocratie, première victime de la 5G ?
A Foncine-le-Haut, au cœur du Jura, la petite pizzeria du village n’a pas encore rouvert ses portes. L’été dernier, le patron du restaurant est arrêté pour avoir détruit une antenne-relais. Il avait alors déclaré être opposé au déploiement de la 5G pour des raisons environnementales. L’homme a écopé de trois ans de prison fermes. L’acte est loin d’être isolé : depuis plusieurs mois, les actes de vandalisme se multiplient en Europe : en France, mais aussi au Royaume-Uni, aux Pays-Bas ou au Danemark, de nombreuses dégradations ou destructions des antennes relais ont eu lieu. Des actions qui nous permettent de nous interroger sur la place des citoyens dans le déploiement de la 5G. L’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) se dit ainsi favorable à la 5G mais demandait un juin un plus grand contrôle citoyen sur le numérique. Son président, Sébastien Soriano, écrivait : « derrière ces actes de vandalisme inadmissibles, ce qui se joue n’est pas le simple refus de la technologie. Nous devons écouter une interrogation plus vaste, qui touche au cadre économique et institutionnel des nouvelles technologies dans leur ensemble. Et si les réseaux de communications sont visés, c’est sans doute qu’ils sont vus comme les veines et les artères d’un système considéré comme irrespectueux de l’humain et de son environnement naturel. » Au-delà des aspects sanitaires et environnementaux, la participation citoyenne et la transparence du débat constituent un enjeu fondamental. Dans un rapport de l’Ifop du 16 septembre 2020, 63% des interrogés se disaient en faveur de la 5G en France, contre 20% favorables à la destruction des antennes-relais pour protester contre son déploiement. Mais un peu plus loin, le rapport précise également que 51% des interrogés croient que le réseau a des aspects négatifs sur la santé et que 48% sont favorables à la suspension de son déploiement jusqu’à l’été 2021.
Parmi les premiers utilisateurs de la 5G, une enquête du Monde a révélé que peu y trouvaient une vraie utilité : connexion hachée, tarifs plus importants, augmentation du débit pas flagrante… Les promoteurs de la 5G espèrent améliorer la littératie numérique (soit « la capacité de participer à une société qui utilise la technologie des communications numériques dans tous les milieux » selon le Centre canadien d’éducation aux médias et de littératie numérique, Habilo Medias) en réduisant notamment les zones blanches. Mais les premières utilisations du réseau semblent montrer que celui-ci ne pourra pas être déployé partout, plus particulièrement dans les zones peu peuplées qui ne répondent pas au modèle économique de cette technologie.
Un moratoire citoyen sur la mise en place de la 5G en attendant les résultats de son impact sanitaire et environnemental, comme l’avait demandé la Convention citoyenne pour le Climat, serait un moyen pour la société de reprendre en main ce qu’elle souhaite faire du numérique. La société qui va naître de la 5G est celle d’un monde intégralement connecté : près de 200 milliards d’objets émetteurs pourraient faire partie de l’internet des objets dans les prochaines années et un billion (mille milliards) sur le long terme. La question n’est donc pas uniquement numérique mais sociétale : elle implique des décisions fondamentales sur notre mode de vie, nos libertés et notre consommation d’énergie. Le déploiement de la 5G pourrait aussi permettre à des activités illégales de l’utiliser sans contrôle démocratique. L’ultranumérisation concerne chaque frange de la population.
Ce qui resort finalement de ce débat est la manière dont les citoyens en ont été écartés. Peut-on vendre le progrès sans le définir et le discuter ? Le débat sur la 5G peut-il se contenter d’être caricaturé comme une harangue entre « les amish de la lampe à huile et « les héritiers des Lumières » ? Si comme l’indique le Larousse, le progrès est l’avancée d’une société vers « un idéal », cette société se doit d’être pleinement informée et participante à cette discussion. Au-delà du désaccord technologique, le débat permettrait de resouder la confiance citoyenne envers ses institutions politiques et scientifiques. Chaque innovation a connu ses détracteurs, mais cela ne les rend pas moins nécessaires. Il ne s’agit plus seulement de débattre avec on contre le « technisolutionisme » : Le débat autour de la 5G est avant tout un enjeu démocratique.
Pour aller plus loin :
- Technologies partout, démocratie nulle part : plaidoyer pour que les choix technologiques deviennent l’affaire de tous, Yaël Benayoun, Fyp éditions, 2020
- L’apocalypse joyeuse : une histoire du risque technologique, Jean-Baptiste Fressoz Points, 2020
- Tribune sur Le Monde : Marceau Coupechoux, professeur à Telecom Paris et l’Ecole Polytechnique : « Il faut se réapproprier les usages de la technologie »
- L’enquête très complète de Reporterre sur la 5G : https://reporterre.net/5G-la-grande-enquete
