
Une fois par semaine, Combat décrypte le sujet que VOUS avez choisi. Cette fois-ci, vous avez choisi celui sur le « devoir conjugal ».
« Justice : condamnée pour avoir refusé des relations sexuelles avec son mari »
Le titre fait frémir. Il nous rappelle douloureusement à quel point Margaret Atwood n’a (presque) pas eu besoin de faire appel à son imagination pour écrire sa dystopie intitulée The Handmaid’s Tale (La Servante Ecarlate en français). Le décryptage de cette semaine revient sur cette sanction prononcée par la justice française, afin de mieux comprendre pourquoi, et dans quelles conditions, en 2021, un tel jugement a pu être rendu. Comprendre comment la notion de « fidélité » de l’article 212 du Code Civil peut-il justifier de bafouer le « droit au respect » entre les épou-x-ses ?
Rappel des faits
En 2011, une femme nommée Barbara[1] annonce à son mari qu’elle souhaite divorcer. Elle évoque notamment les comportements violent de celui-ci. En 2012, elle commence une procédure de divorce.
En 2015, elle assigne son mari en divorce pour faute[2].
En 2020, Barbara est condamnée par la justice pour faute car elle a refusé d’avoir des relations sexuelles avec son mari depuis plusieurs années.
Avec cette décision, c’est le droit de cette femme à disposer de son corps que la justice nie. A l’heure où dans « 47% des 95 000 viols et tentatives de viols par an, l’agresseur est le conjoint ou l’ex-conjoint de la victime »[3] cette décision paraît extrêmement archaïque, anachronique, mais surtout injuste. Elle ramène sous nos yeux idéalistes la notion de « devoir conjugal », qui désigne le devoir pour des conjoint-e-s marié-e-s d’avoir des rapports sexuels. Héritée du droit canonique, cette obligation était intimement liée à la procréation, au devoir pour les couples mariés d’avoir (beaucoup) d’enfants. Toutefois, contrairement à l’adage que l’on trouve à la fin des contes, cette condition ne faisait pas nécessairement bon ménage avec le bonheur et excluait complètement la notion de consentement, fermant les yeux sur le viol conjugal. Aujourd’hui inscrit dans le Code Pénal, le viol entre épou-x-se est considéré comme une circonstance aggravante selon l’article 222-24. Cependant, cette reconnaissance du viol conjugal comme un crime n’a pas entrainé une suppression définitive de la notion de « devoir conjugal ».
La fidélité, une notion juridique archaïque
Si le terme a disparu du droit français, il est toujours présent de manière sous-entendue dans les articles 212, 215 et 242 du Code civil, sur lesquels s’est appuyée la décision des juges. Respectivement ces articles désignent le fait que les épou-x-ses :
Article 212 : « Se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance. »

Dans le cadre de ce procès, c’est la sacro-sainte fidélité qui est évoquée pour justifier la condamnation de Barbara. Les épou-x-se étant tenu-e-s par les lois du mariage au renoncement à des relations sexuelles en dehors du mariage, iels se doivent d’entretenir des rapports sexuels avec leur conjoint-e (cela étant bien évidemment sous-entendu car le « devoir conjugal » a disparu du droit français, mais chassez le naturel…). Or cette « fidélité » constitue un héritage du Code napoléonien qui remonte à 1804. Un code dont les dispositions conjugales et familiales étaient déjà particulièrement rigide comparées à d’autres codifications européennes et au droit coutumier de son temps. Capable d’un côté de garantir la liberté et la propriété, il consolidait d’autre part la domination masculine. Exclues de la sphère publique, les femmes existent alors sous un statut de « mineures juridiques ». En vigueur jusqu’en 1938, l’article 213 énonce que « Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari. » Dans les faits, cela signifie qu’elle a besoin de l’autorisation de son conjoint pour chaque acte juridique. Elle ne peut par exemple pas bénéficier des revenus de sa propre activité. Le père du droit de la famille du Code Civil, Jean-Étienne Portalis (1746-1807) justifiait alors que « la puissance maritale, la puissance paternelle sont des institutions républicaines.»
Pour Daniel Borillo, chercheur au Centre de recherche sur les sciences administratives et politiques (CERSA/CNRS) et membre du LEGS (Laboratoire d’études sur le genre et les sexualités) à Paris-Lumières, la notion de fidélité définie par l’article 212 fait écho au droit canonique qui imprègne encore certains aspects du droit français.
Article 215 : « S’obligent mutuellement à une communauté de vie. »
Sous le terme pudique de « communauté de vie », la loi souligne l’obligation pour les conjoint-e-s de partager le même toit, mais aussi le même lit. Comme le précise Anne-Marie Leroyer, juriste professeure de droit privé à Paris I, au micro de France Culture, cette expression désigne l’obligation pour les épou-x-ses d’entretenir des relations sexuelles. Plus de « devoir conjugal » donc mais un dû sexuel à la communauté du couple. Si cet article ne nie pas la notion de viol conjugal, il rend possible la condamnation d’un-e conjoint-e refusant des rapports sexuels avec sa-son conjoint-e pendant une « longue durée ».
Divorce pour abstinence sexuelle
Cette faute qui « justifierait » un divorce est cependant rarement évoquée, d’où le fait qu’elle n’est malheureusement pas ou peu sujette à débat. En effet, elle rend obligatoire une justification de cette absence de relations sexuelles pendant un temps suffisamment long pour être jugé recevable par la justice. Dans le cadre de cette affaire, l’accusation de l’ex-mari de Barbara se fonde sur les déclarations de son ex-épouse dans une main courante déposée au commissariat de Versailles en 2014 où elle explique les raisons pour lesquelles elle a cessé d’avoir des relations sexuelles avec son conjoint.
Il est bon d’introduire ici le fait que le refus d’entretenir des relations sexuelles doit être justifié pour être considéré valable par la justice, dans le cadre d’un contrat de mariage. Barbara a donc dû justifier, certificats médicaux à l’appui, que des problèmes de santé ainsi qu’un grave accident du travail justifiaient son refus d’entretenir des rapports sexuels avec son époux. Reconnue travailleuse handicapée depuis 2012, cette femme a donc dû prouver que sa volonté de ne pas avoir de rapports reposait sur un motif suffisamment légitime (ici son état de santé) pour être validé par les juges. Qu’en est-il de la dignité de cette femme ? Le seul comportement violent (à la fois verbal et physique) de son mari (qui a par exemple simulé un étranglement sur leur fille handicapée) ne pouvait pas suffire. Mieux, selon la justice française, le fait que Barbara prouve qu’elle n’a pas eu de rapports sexuels avec son mari depuis plus d’une année fait d’elle une coupable. Cette accusation portée par la défense de son ex-mari repose sur un arrêt de la cour d’appel d’Amiens de 1996[4]. Un arrêt qui juge que lorsque le refus d’un-e des conjoint-e-s excède une durée supérieure à un an et s’étend sur une durée indéterminée, il peut être considéré comme une violation des devoirs et obligation du mariage (article 242 du Code civil).
Article 242 : « Le divorce peut être demandé par l’un des époux lorsque des faits constitutifs d’une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune. »
Le comportement violent de cet homme n’a donc pas constitué une violation suffisamment grave des devoirs et obligations du mariage.
Le refus de Barbara d’entretenir des relations sexuelles avec son ex-mari, si.
Voici la conclusion de la cour d’appel de Versailles, et à travers elle, la conclusion de la justice française face à cette affaire.
Une conclusion qui ne satisfait ni Barbara, ni ses deux avocates, Lilia Mhissen et Delphine Zoughebi. Une conclusion qui ne doit tout simplement pas nous satisfaire alors qu’en 2019 en France 146 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire et 25 enfants mineurs sont décédés, tués par un de leurs parents dans un contexte de violences au sein du couple[5]. Les avocates de Barbara ont donc saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Pour elles, la justice française n’a pas respecté les articles 3 et 4 de la Convention européenne qui condamne le fait d’être soumis-e « à des traitements inhumains ou dégradants » et d’être « tenu en esclavage ou en servitude ». Elles citent également d’autres articles de la Convention européenne comme le droit de toute personne au respect de sa vie privée (article 8). La condamnation de la France permettrait ainsi de (ré)affirmer le droit pour chacun-e au respect de sa vie privée et de son intégrité physique, et ce y compris au sein du mariage.
[1] Prénom modifié choisi par la journaliste Marine Turchi dans son article sur Mediapart.
[2] Le divorce pour faute pour être demandé par l’un-e des deux épou-x-se lorsque sa-son épou-x-se a « commis une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations liés au mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune. »
[3] Communiqué des deux associations qui soutiennent Barbara dans sa démarche : Le Collectif Féministe contre le Viol et La Fondation des Femmes.
[4] « S’il est admissible de refuser des relations sexuelles à son conjoint pendant quelques semaines, cela ne l’est plus quand le refus s’est installé pendant plus d’une année et qu’il n’était pas prévu d’y mettre fin un jour. Il s’agit donc d’une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage, rendant intolérable le maintien de la vie commune et dans ces conditions, le divorce sera prononcé aux torts de la femme, le premier jugement étant infirmé sur ce point. «
[5] Source : « Etude nationale sur les morts violentes au sein du couple. Année 2019 », ministère de l’Intérieur, Délégation aux victimes.
