Les JO 2024 étouffent déjà l’Île de France

Une fois par semaine, Combat décrypte le sujet que VOUS avez choisi. Cette fois-ci, vous avez choisi celui sur les JO 2024 à Paris.

Elle voulait faire de ces Jeux « les plus verts qui n’aient jamais été faits. » Dès 2017, alors que la capitale était encore en lice avec Los Angeles, la municipalité de Paris faisait des jeux olympiques et paralympiques son nouveau cheval de bataille, plaidant pour associer sport et respect de l’environnement. Mais sur le terrain, la réalité semble bien éloignée des printemps qui chantent.

Sur le papier : des JO sous le signe du développement durable

Le 16 mars dernier, le Conseil d’Administration des Jeux Olympiques annonçait la couleur, présentant Paris 2024 comme « le premier grand événement sportif à compenser plus d’émissions de CO2 qu’il n’en émet, avec de premiers projets engagés dès cette année. » Au programme : 100% de matériaux biosourcés pour les constructions, 100% d’alimentation durable et certifiée pour nourrir les athlètes, 100% d’énergie verte pour les besoins de l’événement, 100% des déplacements effectués à l’aide de transports propres…  Le Comité espère ainsi réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55% par rapport aux JO de Londres de 2012. La ville promet aussi d’éviter les constructions onéreuses et éphémères auxquelles nous avaient habitués les événements olympiques, et qui finissent pour la plupart délaissés à l’issue des jeux. En 2016, le parc olympique de Rio était devenu un village fantôme, totalement laissé à l’abandon par les autorités. Chats errants dans les gradins pillés, gazon brûlé, eau croupie… Pour éviter une imitation à la française, le comité prévoyait de transformer le village olympique en appartements après les jeux.

Piscine d’échauffement des JO de Rio laissée à l’abandon, en 2016 © Reuters/Pilar Olivares

Sur le papier, le pari était presque séduisant. Preuve en est qu’Isabelle Autissier, ex sportive, présidente du WWF France, avait pris la tête du comité d’excellence environnementale de Paris2024. Dans un but très précis : profiter des JO pour faire passer un message résolument écologique.

Un prétexte à la frénésie de la bétonisation

« Des potirons, pas du béton ! » Le 17 avril, à l’occasion des soulèvements contre la réintoxication du monde, nombreux sont les habitants d’Aubervilliers à manifester. Pour cause : les JO de 2024 menacent le poumon de leur ville.

Cela se passe au plein cœur d’une zone urbaine populaire et densément peuplée. Au pied du fort d’Aubervilliers, les jardins ouvriers des Vertus accueillent depuis 1935 de nombreux jardiniers amateurs. Au milieu des plantations de toutes sortes, on y trouve 36 espèces d’oiseaux dont 22 ont un statut de protection. Mais depuis soixante ans, les terres ne cessent de perdre du terrain. Alors qu’ils occupaient encore en 1963 plus de 62 000 m2 d’espace, on en compte aujourd’hui 26 000 m2 à peine, le reste ayant été petit à petit ravagé par la croissance de l’urbanisation (gare routière, prolongement de la ligne 7 du métro…) Or, c’est précisément à cet endroit que sera installé le centre aquatique pour les JO de 2024. Alors que la piscine remplacer le parking jouxtant les jardins, ces derniers seront remplacés par un bâtiment « aux matériaux biosourcés » comportant splashpad, centre spa et fitness, pentagliss… En tout, 29 des 85 parcelles restantes seront éradiquées d’ici mars 2022, soit l’équivalent de 4 000 m2. C’est sans compter sur le fait que le propriétaire des jardins, Grand Paris Aménagement (GPA) a prévu de commencer cette année les travaux destinés à implanter une gare de la ligne 15 du Grand Paris Express. Un chantier qui représente à lui tout seul 6 000 m2 supplémentaire de terrain ratiboisé et bétonné.

La menace qui pèse sur les jardins ouvriers d’Aubervilliers est loin d’être dérisoire. A Aubervilliers, on compte en moyenne seulement 1.42 mètre carré de verdure par habitant. Les étés y sont étouffants. Mais au-delà de cet aspect symbolique, les jardins des Vertus constituent le cœur battant de la ville, considérée comme la quatrième plus pauvre de France – trois habitants sur dix vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Ici, on s’y retrouve depuis des décennies ; les nationalités et les langues se mélangent ; les pépiements des oiseaux remplacement le bourdonnement de l’autoroute. « Si on nous enlève les jardins, on nous enlève le cœur en même temps » témoigne Lofti, qui y cultive depuis huit ans. Dans ce même –magnifique- reportage de Basta !, Elise conclut : « le jour où les bulldozers arrivent, moi je m’enchaînerai à mon cerisier et je ne bougerai pas. » Pour le moment, l’unique réponse de GPA a été de proposer de « compenser » les espaces perdus en offrant aux habitants la possibilité de cultiver des parcelles à l’abandon dans les jardins de Pantin ainsi qu’un ancien terrain de football de la gendarmerie. Or, comme l’explique elle-même Viviane, habituée des jardins de la Vertu, « un écosystème, ça ne se transpose pas. » Les premières constructions sont prévues pour fin avril.

Peut être une image de 2 personnes, personnes debout, route et texte qui dit ’DES POTIRONS PAS du BETON! യ SAUVONS JARDINS des VERTUS Anne Paq’
Manifestation du 17 avril contre la réintoxication du monde © Anne Paq

Peu présent dans les médias, le sort de ces jardins n’est pas isolé. Paris 2024 a déjà enclenché la réduction des espaces verts du quartier Chapelle-Charbon dans le XVIIIè arrondissement. EuropaCity a sanctuarisé 400 hectares de terres agricoles du Triangle de Gonesse sur les 750 encore existants. Or, le triangle de Gonesse représente l’une des zones les plus fertiles d’île de France, zones qui devront forcément être stérilisées pour les désirs de bétonisation liés aux Jeux Olympiques. Le même sort attend le parc Georges-Valbon, où les travaux ont été suspendus suite à la mobilisation des citoyens et associations environnementales. Quant à l’agrandissement de Roland-Garros, celui-ci a déjà entraîné la destruction d’une partie des arbres et des serres du Jardin botanique d’Auteuil.

Pourquoi les JO 2024 ne bénéficieront pas à la population

Dans son communiqué, le Comité d’organisation des JO affirme son ambition de mettre en place des Jeux « utiles et responsables » notamment en Seine-Saint-Denis, « un territoire jeune et plein de promesses qui pourra profiter pleinement de la dynamique des Jeux en matière de rayonnement, d’emplois et de marchés, et nous inspirer en retour. » C’est dans ce département que la plupart des nouvelles infrastructures directement liées aux JO seront réalisées. L’organisation cite notamment la piscine au budget olympique censée remplacer les jardins d’Aubervilliers, et qui devrait bénéficier à l’ensemble du département. Un geste qui reste lourd d’interrogations quand on sait que la région a en parallèle diminué de 9% la dotation destinée au sport scolaire. A noter aussi que ce centre aquatique devrait être construit à deux pas de l’une des stations AirParif où se mesurent régulièrement les taux de pollution les plus élevés de France.

Quant au renouveau urbain, difficile de penser qu’il bénéficiera aux populations qui en ont le plus besoin. La tour Pleyel, ancien immeuble de bureaux d’affaire, sera transformée en hôtel de luxe. Le quartier Pleyel est d’ailleurs au cœur de réaménagements routiers. Dans le but de relier le village olympique de Pleyel et le village des médias du Bourget, 95 millions d’euros alloués par l’Etat et la région devraient permettre de réunir les autoroutes A86 et A1. Cela représente le transit de 20 000 véhicules par jour. Or, l’école Anatole France et ses 700 élèves se situent à quelques mètres à peine de l’échangeur (image ci-dessous.) En 2017, le niveau de pollution du quartier avait déjà été considéré par Plaine Commune comme « 20 fois au-dessus des normes de l’OMS. » Le 5 mai 2020, les habitants du quartier ont obtenu de la Cour administrative d’appel de Paris la suspension de l’arrêté préfectoral rendant le projet d’échangeur d’intérêt public. Celle-ci reconnaît « un défaut de concertation ». Jusqu’ici, le budget prévoyait uniquement la construction d’un mur antibruit sur l’A86.

Vue d’artiste du futur quartier Pleyel mise en avant par la communauté d’agglomération Plaine commune. © RadioParleur

Autre exemple : le foyer des travailleurs Adef, à Saint Ouen, a été vidé de ses habitants il y a deux semaines, laissant la place à la société Solideo, chargée de la livraison des futurs ouvrages olympiques. Sur les 243 habitants, 46 étaient encore laissées sur le carreau fin mars. Dans la même ville, une partie du campus de l’école d’ingénieurs Supmeca va aussi être amputée par le Village olympique. Ces acquisitions sont rendues possibles par l’article 18 de la loi relativeà l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 qui précise que les organismes en charge des JO peuvent « en vue de l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, acquérir et construire des locaux, à usage d’habitation ou non, dans les départements de la Seine-Saint-Denis et des Bouches-du-Rhône afin de les mettre temporairement à disposition du comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques dans le cadre de contrats conclus pour l’organisation de ces manifestations. »

Si le Comité promet des répercussions économiques et sociales positives sur le département, les habitants sont loin d’être de cet avis. Ils décrient la mise en place « d’emplois précaires » doublée de l’installation d’infrasctructures qui bénéficieront surtout aux classes aisées : centre aquatique doté d’un solarium et d’un hammam, arrivé du Charles-de-Gaule Express, quatrième terminal pour l’aéroport de Roissy.

Paris 2024 : les dés sont-ils déjà jetés ?

En résumé, l’île de France semble aller davantage vers une gentrification et une métropolisation de son espace, au détriment de la lutte environnementale et sociale.

Les JO, cela représente aussi la venue pour deux semaines de trois millions de personnes dans la capitale, qui compte deux millions d’habitants. Contrairement aux promesses annoncées par le Comité d’organisation, l’impact écologique n’a donc aucune chance d’être neutre. Symboliquement parlant, l’événement fait aussi la part belle au greenwashing puisqu’il compte encore parmi ses sponsors des partenaires tels que Coca Cola, Bouygues Construction ou encore BNP Paribas.

Un autre point, régulièrement mentionné par le collectif « Non aux JO 2024 » est le manque de consultation de la population. En parallèle de la loi susnommée, un décret a déclaré « opération d’intérêt national » toute opération liée aux JO. Autrement dit, population comme élus n’ont pas leur mot à dire sur les logements réquisitionnés. L’article 12 de la loi a même permis d’utiliser l’argent des Offices publics de HLM, destinés à l’origine au logement social, à la construction du Village olympique et du Village des médias. Quant aux concertations publiques, qui comptent habituellement plus d’entreprises privées que d’habitants, elles sont rendues difficilement accessibles par les dossiers présentés, trop techniques et trop longs (« des milliers de pages » selon le collectif ».) Dans ce contexte, « Non aux JO 2024 » propose un « référendum local auto-organisé » dans l’espoir de faire annuler l’événement.

Charlotte Meyer

Photo ©lavillepousse.fr

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