« Toute œuvre artistique doit porter une raison de société » – La Retirada, de Josep à Aurel

Aurélien Froment, dont le nom résonne sous l’appellation d’«Aurel», est dessinateur de presse. Né en Ardèche en 1980, il a donné son trait au Monde, au Canard enchaîné mais aussi à Marianne, ou au Monde Diplomatique. Quelques semaines après la sortie de son premier long métrage « Josep » sorti en salles en octobre 2020, il nous a accordé cette entrevue. 

La gorge nouée par le trac à l’idée d’échanger avec le dessinateur de presse connu et reconnu, j’appuie timidement sur le petit téléphone vert, sans savoir réellement qui est l’homme à l’autre bout du fil. BIP-BIP. « Allô ? ». Une voix calme me répond, les phrases et les questions s’enchaînent, un peu plus de 40 minutes d’appel s’affichent sur mon téléphone. Il est définitivement passionnant d’échanger avec un passionné lorsqu’on l’interroge sur sa passion.  

 Au commencement, il y avait Georges Bartoli

Aurel et son trait ironique ont publié plusieurs BD engagées. Ses dessins de presse, bien souvent caricaturaux ou humoristiques, ne tarissent pas son engagement affirmé.

Sa rencontre avec Josep s’est tenue au traditionnel festival du livre auquel il était alors invité. Là, parmi les étals remplis de couvertures noircies, un livre l’attire, l’aspire : celui de Georges Bartoli. Neveu de Josep Bartoli, il est auteur chez Actes Sud de « La Retirada », qui n’a d’autre sujet que l’exil de sa famille lorsque la guerre civile espagnole touchait à sa fin sous les cris sanglants de Franco. Au milieu de ce récit, des illustrations de Josep Bartoli. Aurel tombe sous le charme du trait furtif de l’artiste espagnol. Plus tard, alors qu’il signe son premier court métrage d’animation « Octobre Noir », la Retirada lui trotte encore dans la tête. L’éclair passe : ce sera un film d’animation. 

C’était il y a dix ans. Aurel me raconte maintenant les longues années semées d’embûches pour aboutir au résultat tant escompté. « Les 5 premières années consistent à voir quelle forme prendra le projet, sans même savoir si il est faisable financièrement : commencer à écrire un scénario, se pencher sur l’histoire. Ça prend plusieurs années, car on ne fait pas ça continuellement. Au bout de 5 ans on a eu suffisamment de partenaires et un scénario à sa version 2. Le producteur a décidé de lancer la machine et s’ouvre alors la première étape : trouver les financements. Ça a mis 3 ans environ. Ensuite, on a lancé la production qui a duré environ 2 ans dont 14 mois de fabrication pure.»

Mais quel goût a l’administratif aux côtés de la création, pour un dessinateur ? Aurel m’a appris qu’on ne dessinait pas la guerre d’Espagne sans informations. Il lui a fallu des heures et des heures de recherches pour cerner l’ampleur de ce conflit trop souvent oublié par la France, qui y a pourtant joué un rôle primordial. Pour faire un film sur Josep et la guerre d’Espagne, il fallait comprendre Josep, lui qui a griffonné sur tout ce qu’il trouvait lors de son enfermement dans deux différents camps français. « Il y avait des infos très disséminées, précise Aurel. Le mémorial de Rivesaltes – situé dans les Pyrénées françaises et rendant hommage aux personnes enfermées dans le camp éponyme lors de la Guerre d’Espagne – n’existait pas lorsqu’on a commencé à travailler sur le projet, donc on a fait avec les moyens du bord. Moi je me suis documenté au maximum avec ce que je trouvais sur le net, des expos, des livres, que j’ai d’ailleurs plutôt acheté en Catalogne qu’en France. La veuve de Josep Bartoli, Bernice Bromberg, nous a aussi ouvert des portes. Les ouvrages étaient rares parce qu’ils étaient très confidentiels : Josep n’était pas très connu. » 

Un devoir : combler l’oubli de mémoire 

La Retirada, c’est l’exil républicain espagnol d’après-guerre. Période sombre pour l’histoire espagnole, elle s’est déroulée de 1936 à 1939. La guerre civile qui déchirait le peuple espagnol en deux, suivie de la chute de Barcelone aux mains de Franco, force un million de Républicains à franchir les Pyrénées, repoussés par les Franquistes. Josep raconte l’arrivée de ces réfugiés en France, sitôt parqués dans des camps au sud de l’Hexagone, dans des conditions extrêmement précaires. Plus particulièrement celui de l’un d’entre eux : le dessinateur Josep. Il rencontre dans un camp un gendarme français qui lui tend la main, bien le seul à le considérer comme son égal, et se lie d’amitié avec lui. Le film se déroule ainsi : le fameux gendarme français a vieilli. Il raconte l’histoire de sa rencontre avec Josep à son petit-fils, remuant de lointains souvenirs dans un monde qui ne soucie plus de cette période où la France a trahi ses valeurs.

Si l’histoire se passe autour du personnage de Josep dont le travail de mémoire a été très important pour les Espagnols, tout n’est pas réel dans ce film animé, du moins inspiré. « La trame est vraie : le fait que Josep ait perdu sa compagne, qu’il la cherche, qu’il soit l’amant de Frida Kahlo, qu’il soit pris dans un camp et qu’il s’en échappe. On voulait aussi une fiction : ce n’est pas un documentaire, ni un biopic. Le personnage de Serge est inventé mais inspiré de gens qui ont existé : des gendarmes, des médecins qui ont aidé Josep à avoir du papier, des crayons. » Il poursuit : « Le scénario est de Jean-Louis, c’est lui qui a proposé d’emprunter le biais d’un discours entre un petit-fils et son grand-père. On ne voulait pas une inertie, et puis on n’était pas forcément légitimes à raconter cette histoire-là, même si c’est une histoire en partie universelle. Cet acte narratif du gendarme français nous permettait de nous légitimer. »

Après la recherche est venue la création, inventer des personnages pour narrer une histoire, imaginer une ambiance, mais aussi le son qui la fera danser. Aurel est un passionné de musique, il a d’ailleurs dessiné pour Jazzmagazine. « Ce qui était le plus passionnant pour moi c’était la musique et le son, parce que c’était complètement nouveau. La musique a été composée par Célia Berescruz, qui est une grande, une immense artiste, très connue en Espagne mais totalement méconnue en France. Elle a le gros avantage de mêler la tradition de la chanson traditionnelle ibérique, au sens large, et une réelle modernité. »

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Aurel © Céline Escolano

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