Emmanuel Macron et l’université : ce qu’il faut comprendre

Jeudi 13 janvier, le Président de la République s’est exprimé au sujet de l’Université française. L’occasion pour lui de revenir sur un bilan… plutôt mitigé. Une tribune de Pierre Courtois–Boutet.

À trois mois de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron, pas encore officiellement candidat, s’est exprimé par visio-conférence pour clôturer le congrès de la Conférence des présidents d’universités. Le Président a dénoncé le contexte actuel de l’université, l’employabilité faible des étudiantes et étudiants en sortant de filière et a vanté le bilan de son gouvernement, indiquant que la dernière loi de financement de la recherche, pourtant largement décriée par la communauté universitaire, avait permis de sauver les meubles.

Nous allons revenir ici sur les propos d’Emmanuel Macron, en tentant d’y apporter un peu de recul, de contexte, et de réalité de terrain. En revanche, afin d’éviter que cette tribune ne soit trop longue, nous ne détaillerons pas les différentes lois qui ont provoqué l’état actuel de l’Université. Nous y ferons référence, mais nous ne prendrons pas le temps de les développer. Cependant, les différentes lois sont disponibles sur internet. Vous pourrez les trouver brutes, ou décryptées.

Un système à plusieurs vitesses « révolu »?

Dans un premier temps, Emmanuel Macron estime que « nous avons trop longtemps accepté un modèle à plusieurs vitesses, où les grandes écoles et organismes de recherche étaient supposés s’occuper de la formation des élites et l’université de la démocratisation de l’enseignement supérieur et la gestion des masses. Ce système est révolu » Oui, mais non. Ce constat est en partie juste. Et existe depuis de nombreuses années, notamment dans la création d’écoles de commerce ou de politique. Cependant, cela s’explique surtout par le fait que l’Université française (et tout ce qui l’accompagne) a connu un désinvestissement financier progressif de la part de l’Etat, comme le prévoyait la loi Devaquet dans les années 80, et comme l’a mis en place Valérie Pécresse lorsqu’elle était Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, dans sa loi « relative aux libertés et aux responsabilités des universités » en août 2007. L’actuelle candidate à l’élection présidentielle vantait cette loi, en mettant en avant que les universités seraient dorénavant autonomes. Mais son objectif était que l’Etat n’investisse plus dans l’Université française, ou alors uniquement par des dotations, assez faibles, engageant alors la concurrence entre les différentes universités pour les postes d’enseignement, mais aussi les finances. Et à côté de cela, l’Etat continuait d’avoir la possibilité de légiférer sur les universités, sur ce qui était possible ou non de faire en son sein. L’autonomie aurait donc des définitions différentes ?

Par la force des choses, l’Université a dû se contraindre à faire des choix financiers, ne parvenant pas toujours à s’en sortir. Elle a donc désinvesti sur certains points, se rendant alors encore plus précaire qu’auparavant. Et cela continue encore aujourd’hui !

Faut-il aussi rappeler que deux lois, produites sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, les lois ORE et LPPR, n’ont pas aidé à faire évoluer l’Université française dans le bon sens ? Et je ne parle même pas de Parcoursup, qui a rendu l’accès l’Université encore plus concurrentiel et sélectif, mettant les candidates et candidats dans des situations de stress et d’angoisse intenables. Bien au contraire, ces lois ont proposé de rendre l’Université encore plus concurrentielle, plus chère et surtout, plus sélective. Car c’est bien cela que nous voulons de notre université, non ?

Nommé par Edouard Philippe, Frédérique Vidal reste ministre de l'Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l'Innovation.
Nommé par Edouard Philippe, Frédérique Vidal est la ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Crédit : Bertrand GUAY / AFP

L’éducation doit-elle cesser d’être un service public?

Ensuite, le Président déclare : « On ne pourra pas rester durablement dans un système où l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants, où un tiers des étudiants sont considérés comme boursiers et où pourtant nous avons tant de précarité étudiante, et une difficulté à financer un modèle beaucoup plus financé par l’argent public que partout dans le monde ». Emmanuel Macron explique malgré lui, dans la dernière partie de sa phrase, le principe de service public. Il évoque aussi la question des bourses, car un tiers des étudiantes et étudiants sont considérées et considérés comme boursières et boursiers. Il met également en relation avec cela le fait qu’une précarité étudiante est assez forte. J’avoue que sur ce point, il fallait oser. Il fallait oser mettre en avant le problème de la précarité étudiante et des bourses, quand justement, lors de son quinquennat et en pleine pandémie, la communauté universitaire, étudiante comprise, a dû attendre des mois avant que la Ministre de l’Education Supérieure et de la Recherche, Frédérique Vidal, ne daigne s’exprimer sur le mal-être de l’Université. Il aura fallu attendre des images atroces de files d’attente interminables d’étudiantes et étudiants pour avoir des repas à peu près dignes de ce nom. Il aura fallu attendre des suicides d’étudiantes et étudiants. Il aura fallu attendre tout cela pour que la Ministre s’exprime et que des petites mesures fassent leur apparition. Les repas à un euro pour les étudiantes et étudiants boursiers sont très importants. Mais honnêtement, est-ce qu’une réponse comme celle-ci n’est pas un peu limitée ?

Aussi, le Président de la République, qui a, au passage, fait ses études à l’ENA et à Sciences Po Paris, donc plus dans les écoles que dans le privé, en remettant en question la « quasi-gratuité » des coûts d’entrée à l’Université, assume pleinement sa volonté de rendre l’Université encore moins universelle, mais encore plus concurrentielle. Même si l’on peut accorder le fait que le coût payé par certaines étudiantes et certains étudiants est assez peu en comparaison avec ce qui est dépensé pour les formations, cela reste un coût pour les plus modestes. Et cela, Emmanuel Macron semble l’oublier.

Effectivement, il restait dans l’esprit collectif que les personnes étudiant à l’Université ne devaient pas payer trop cher leurs études. Cela afin qu’un maximum de personnes puisse y étudier, et que la sélection ne se fasse pas sur des critères financiers. Car l’Université devrait bien porter son nom et être universelle. Les écoles privées en ont profité, en proposant des formations et un cadre d’études plus intéressants, certainement, mais aussi en proposant des coûts parfois très élevés pour entrer dans la formation. En plus des critères de sélection, les écoles assument, dans une mesure beaucoup plus forte comparée à l’Université, des critères financiers.

Sur la question des bourses, bien qu’elles soient réévaluées régulièrement, que le taux dépend de la ville dans laquelle les étudiantes et étudiants étudient, il reste clair qu’elles ne sont pas à la hauteur de la réalité du terrain, qu’il faut les remettre en perspective et, enfin, écouter les étudiantes et étudiants, ainsi que leurs représentantes et représentants. Au lieu de tout cela, la Ministre a préféré déverser un torrent de boue sur le prétendu islamo-gauchisme qui gangrénerait l’Université française, contrairement à la précarité, étudiante et universitaire.

Missions de l'ENA - Ecole Nationale d'Administration (ENA)
L’ENA. DR

« L’investissement de la nation »

Emmanuel Macron a indiqué que, selon lui : « La logique de l’offre doit prendre le pas sur la logique de la demande »« l’orientation doit évoluer pour mieux correspondre aux besoins de la nation »« Quand on ouvre des filières sans perspective derrière, nous conduisons un investissement à perte ». Voilà ce qu’il faut comprendre de la logique terrible d’Emmanuel Macron. Faire en sorte que les étudiantes et étudiants fassent des études qui leur plaisent ? Faire en sorte que l’espoir prenne le pas sur les envies ou besoins économiques de la Nation ? Mais vous n’y pensez pas ! Emmanuel Macron assume ici un discours libéral et, pire encore, avec une tendance à ruiner les espoirs. La démocratie assume justement l’idée que l’on puisse faire ce que l’on veut, que l’on ne doive rendre de compte à personne sur les choix que l’on fait. Mais Emmanuel Macron est au-dessus de tout cela. Pour lui, les étudiantes et étudiants sont au service de la Nation. Cela doit encore correspondre, pour le Président, à une notion bien à lui de la question des devoirs qui prévalent sur les droits.

Sur la question de l’investissement à perte, Emmanuel Macron dégrade encore plus la mission de service public qu’est censé produire l’Université. Que signifie le principe de l’investissement à perte ? Qui est-il pour imaginer que des filières sont faites sans perspective ? Emmanuel Macron imagine certainement que des filières sont ouvertes au bon vouloir des enseignantes et enseignants, que cela se fait en claquant des doigts. Mais si le Président avait passé un peu plus de temps dans les couloirs de l’Université, s’il s’intéressait un peu plus à la réalité du terrain qu’à la réalité économique, il saurait que tout cela est faux. Que l’ouverture d’une filière est, dans certaines universités, une bataille de chaque instant. Et particulièrement pour les filières littéraires ou de sciences sociales, jugées moins « rentables » sur le long terme. Mais jugées moins rentables par qui, et pour qui ? Par les personnes à la tête de l’Etat, que suit Emmanuel Macron dans ses propos, jugeant que tout doit être rentable à partir du moment où de l’argent public est investi. Or, ces personnes oublient complètement le principe de service public.

Pour terminer, le Président déclare que : « L’université doit préparer nos jeunes à exercer leur futur métier. Elle doit leur donner des savoirs, des compétences qui ouvrent les portes de l’emploi. On ne peut pas se satisfaire de l’échec de nos étudiants dans les premiers cycles, ni du taux de chômage trop élevé des jeunes qui sortent de certaines filières universitaires. » Emmanuel Macron ose encore une fois faire un constat qui n’est pas tout à fait juste sur le fond. Sur la forme, elle n’est pas totalement fausse. Il est vrai que beaucoup d’étudiantes et d’étudiants sortant de l’Université ne trouvent pas d’emploi. Effectivement, cela peut s’expliquer par le fait que certaines filières ne sont pas assez professionnalisantes. Mais, cela s’explique aussi en grande partie par le fait que les jeunes diplômés subissent une discrimination à l’embauche. Ces jeunes vont être recalés pour leur manque d’expérience par les recruteuses et recruteurs, leur préférant des candidates et candidats plus expérimentés. Nous pouvons comprendre tout cela. Mais, au lieu de déplorer cette situation, n’est-ce pas à l’Etat, qui a tellement donné pour les grandes entreprises depuis des années, d’aider ces jeunes par le maximum de moyens possible ?

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L’Université devrait bien porter son nom et être universelle

Que faut-il en retenir ?

Tout d’abord, le fait que le Président de la République ne reconnaisse pas la responsabilité de son gouvernement dans l’état de l’Université française. Bien sûr, ce n’est pas que sous son gouvernement : d’autres ont largement aidé à dégrader l’université. Mais l’action de Frédérique Vidal, et parfois sa non-action, n’a pas aidé à calmer la réalité du terrain. Que cela soit Parcoursup, que ce soit la loi d’Orientation et de Réussite des Etudiants en 2017 ou alors, dernièrement, les réformes sur la Recherche, les réformes gouvernementales dégradent à petit feu le système de l’université. Mais aussi le refus de revaloriser les bourses, pourtant largement demandé par le monde étudiant, depuis de nombreuses années. Le manque de dotation de l’Etat pour les universités. Mais aussi le refus de mettre en place des mesures financières pour aider les jeunes, comme ouvrir le Revenu de Solidarité Active pour les moins de vingt-cinq ans. Toutes ces mesures et ces non-mesures dégradent la condition universitaire et celle des étudiantes et étudiants.

L’intervention du Président montre aussi son manque de recul et de vision sur les réalités objectives du monde universitaire. Je parle depuis une place qui est celle d’un étudiant. Un étudiant qui a fréquenté deux universités différentes. Dans deux villes différentes. Et bien, j’ai pu voir, dans ces deux universités, des situations similaires. Dans des mesures moindres, et encore. J’ai pu y voir les conséquences des manques de dotation. Les conséquences des désinvestissements progressifs. Ces conséquences, elles sont simples. Des départements qui tentent de faire le plus possible avec toujours moins. Des étudiantes et étudiants en galère, qui tentent de joindre les deux bouts avec souvent un job étudiant à côté. Des filières qui ferment. Non pas parce qu’elles n’ont pas assez de candidates et de candidats. Mais parce qu’elles n’ont pas les moyens de les accueillir. Et ça, le Président ne le voit pas. Tout ce qu’il voit, ce sont des chiffres.

Ce qui nous amène à la troisième chose que nous apprend cette intervention. C’est-à-dire l’objectif du Président dans cette intervention. Son objectif est assez clair. Faire en sorte que l’université soit rentable. Donc, fonctionne comme une entreprise. Avec une logique de rendement. De rentabilité. Bref, faire fructifier l’argent public. Alors, que l’on soit bien d’accord. On peut s’entendre sur le fait qu’il ne sert à rien d’investir de l’argent si cela ne prend pas. Par exemple, une communauté d’agglomération qui met en place un réseau de bus et où, sur toutes les lignes, deux personnes utilisent ce service. Dans ce cas, au-delà de l’investissement, c’est que le service ne convient même pas aux gens qui pourraient en bénéficier. Mais dans le cadre de l’Université, il s’agit de tout autre chose. C’est un service public qui ne doit pas être rentable. Ou alors, à la limite, pour les personnes qui l’utilisent, pas pour celles et ceux qui le payent.

Il semble aussi bon de rappeler que Manuel Tunon de Lara, président de la Conférence des présidents d’universités, rebaptisée France Universités, a quant à lui réclamé une plus grande autonomie des établissements, mais aussi un financement de l’enseignement supérieur « à la hauteur de nos ambitions ».

Par Pierre Courtois–Boutet

La Sorbonne DR

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