Stéphane Ravacley, un boulanger à l’Assemblée nationale ?

Une fois par semaine, Combat décrypte le sujet que VOUS avez choisi. Cette fois-ci, vous avez choisi celui sur la candidature d’un boulanger à l’Assemblée nationale.

Le 6 mai dernier, Europe Écologie Les Verts (EELV) déclarait l’investiture de Stéphane Ravacley dans la deuxième circonscription du Doubs pour les prochaines élections législatives. Ce dernier avait annoncé sa candidature en avril alors qu’il était soutenu par le Parti Socialiste (PS). Mais l’accord signé début mai entre les partis de gauche a rangé la participation politique du « boulanger humaniste de Besançon » sous la banderole de la Nouvelle union populaire économique et sociale (Nupes).

Un candidat pas si inconnu

Novice en politique, le candidat n’est pourtant pas méconnu des médias. Effectivement, le quinquagénaire se fait remarquer pour son action humanitaire en février dernier. Suite au déclenchement de l’offensive russe en Ukraine, il lance un appel aux dons pour venir en aide à Kiev. Plus de deux-cent mètres cubes de matériel ainsi que de denrées alimentaires sont récoltés et transportés par quinze camions à travers l’Europe. 

Mais le boulanger est majoritairement connu pour avoir protesté contre l’expulsion de son apprenti, Laye Fodé Traoré. Originaire de Guinée, ce dernier est pris en charge en 2016 en tant que mineur isolé. Trois ans plus tard, il commence un apprentissage dans le Doubs. Mais le 25 novembre 2020, âgé de tout juste 18 ans, l’État lui ordonne de quitter le territoire français. Alors, entre le 3 et le 13 janvier 2021, Stéphane Ravacley lance une grève de la faim ainsi qu’une pétition, qui sera signée par plus de 241 000 personnes. La médiatisation de l’évènement conduira à la régularisation de Laye Fodé Traoré par la préfecture de Haute-Saône le 14 janvier 2021.

Stéphane Ravacley et Laye son apprenti guinéen dont la situation a été régularisée • © Anne Fauvarque Radio France Maxppp

Pragmatisme politique

Suite à sa grève de la faim, le boulanger lance Patrons solidaires, une plateforme destinée aux chef·fes d’entreprise dont la situation est similaire à la sienne. Cette association met en avant des offres de stage, fait circuler des pétitions, organise des évènements et des sorties culturelles afin que l’expulsion des exilé·es en apprentissage soit abrogée. 

Stéphane Ravacley est ensuite contacté par le sénateur socialiste Jérôme Durain. Ensemble, les deux hommes travaillent sur une proposition de loi visant à permettre aux apprenti·es étranger·es titulaires d’un diplôme d’être protégé·es et d’obtenir rapidement des papiers.

Une proposition rejetée par le Sénat en octobre 2021 : le boulanger comprend alors qu’être député lui permettrait de « faire bouger les lignes ». Car les débats dans l’hémicycle lui semblent parsemés de contre-vérités, éloignés de la réalité. Certain·es député·es de la majorité et de la droite expliquaient en effet que les jeunes exilé·es étaient pris en charge par l’État français après leurs dix-huit ans. Être élu dans sa circonscription serait une solution pour changer les choses de l’intérieur.

Infidèle représentation du corps électoral

Mais malgré un renouvellement certain de la composition du Palais Bourbon, la société française ne parvient toujours pas à y être correctement dépeinte. Selon Bruno Cautrès, politologue au Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po), « les classes populaires y sont peu représentées » et « cette Assemblée nationale continue de passer à travers le filtre sociologique d’une classe moyenne supérieure ». Les chiffres sont éloquents : lors des dernières élections législatives, seuls un ouvrier (1) et un étudiant ont décroché un siège dans l’hémicycle – alors que ces deux catégories socio-professionnelles représentaient respectivement 8,3% et 2,4% de la population française en 2017. À l’inverse, la part de cadres a augmenté de 8% et celle des professions libérales de 5%.

Selon le même chercheur, l’organisation des législatives affecte la sociologie de l’Assemblée Nationale. Amplifiant la victoire du mouvement de tête au premier tour, le mode de scrutin majoritaire à deux tours met en avant la sociologie du groupe le plus influent – impactant de fait la future Assemblée. Si ce mode de scrutin accorde des sièges à la liste ayant obtenu la majorité des voix (LREM en 2017), il a l’avantage de désigner une majorité stable et apte à gouverner. En revanche, il ne confère pas à l’Assemblée Nationale une représentation fidèle du corps électoral.

À l’inverse, le scrutin proportionnel attribue les sièges à chacune des listes en divisant le nombre de voix obtenues par le quotient électoral. Il se veut donc plus démocratique, mais peut générer une instabilité gouvernementale. Les partis doivent en effet souvent s’allier avec d’autres formations afin de constituer un groupe politique fort.

Un rude duel

Ainsi, à défaut de pouvoir modifier le mode de scrutin, des candidatures comme celles de Stéphane Ravacley soufflent un vent nouveau sur la politique française. Pour Anthony Poulin, adjoint au maire EELV à Besançon, qui tracte à ses côtés, le boulanger apporte une « fraîcheur et une autre façon d’aborder les combats » qui « plaît aux jeunes et à ceux qui n’ont plus confiance dans la politique ». Mais bien que très déterminé, le boulanger devra faire face dans sa circonscription à Éric Alauzet (LREM), député le mieux élu de France en 2017 (avec 62,19% des suffrages). Ravacley a également conscience que son investiture par les forces de gauche est davantage due à sa notoriété qu’au fait qu’il soit un simple « quidam ».

Le candidat souhaite donc conserver son indépendance. S’il est élu député le 19 juin prochain, il n’adhérera pas à EELV mais s’apprêtera à siéger aux côtés du groupe à l’Assemblée nationale. Et il aura, en ligne de mire, une priorité : favoriser l’insertion des jeunes sans-papier qui souhaitent travailler.

Par Elena Vedere

(1) Ouvrier·es qualifié·es et non qualifié·es

Stéphane Ravacley. AFP/SEBASTIEN BOZON

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s