« Notre avenir est dans le partage » : A Montmartre, la solidarité se fête

Alors que la Fête de l’Huma battait son plein le week-end dernier, un autre événement célébrait la solidarité, quelques stations de métro plus loin. Dans les arènes de Montmartre, non loin du Sacré-Cœur, Stéphane Mir et sa bande inauguraient la 10ème édition du festival Solidaire. Une manifestation de presque 10 jours, lancée sous le signe du partage. Combat s’est rendu à son ouverture, le 8 septembre dernier. Immersion dans cet événement pas comme les autres.

« Je bois du café depuis que je suis toute petite » lance Kiona, 10 ans, assise en hauteur des arènes de Montmartre devant une table recouverte d’une toile cirée. Une anecdote peu étonnante, quand on considère l’énergie dont fait preuve la jeune fille, à sauter partout depuis 19h pour s’occuper au mieux de l’organisation du festival Solidaire. Fille de Stéphane Mir, créateur de la manifestation, elle est déjà prête à prendre la relève, et n’hésite pas à chambouler tout le monde pour que tout soit prêt au moment de démarrer les festivités. Ce soir, jeudi 8 septembre, c’est le Girogirocorto, une projection de courts métrages en majorité franco-italiens, qui prend les manettes et lance la machine. L’air est frais, la brise devient un présage de la pluie à venir. L’ambiance est amicale, tout le monde est un ami d’ami. On s’embrasse, on commande une bière, on s’installe : la séance peut commencer.

La scène des arènes de Montmartre, alors que l’installation est prête, les films vont bientôt être projetés (crédits : Mathilde Trocellier)

Un festival pensé pour faire de la « solidarité de proximité »

Le festival Solidaire des arènes de Montmartre, c’est une histoire vieille de plus de 10 ans initiée par Stéphane Mir, auteur, metteur en scène et comédien. « J’ai joué sur la scène des arènes de 1996 à 2004, avant d’y créer mes propres spectacles à partir de 2005. » Professeur de Comedia Dell’Arte, ou « jeu du travail », l’artiste est un habitué du 18ème arrondissement, ayant vécu dans le quartier des arènes. « Avec mes amis, on s’est rendu compte que malgré l’apparence bourgeoise des environs, il y existait une certaine misère. On a alors eu envie, avec d’autres copains artistes, de créer un rendez-vous annuel, une sorte de parenthèse dans nos vies de privilégiés, pour vraiment parler de culture et ne pas détourner le regard quand on croise la pauvreté dans la rue. On a finalement lancé le festival en 2014. »

Stéphane Mir, organisateur et créateur du festival, occupé à la buvette, avant que la soirée ne commence (crédits : Mathilde Trocellier)

Et alors que la manifestation inaugure cette année sa 10ème édition, Stéphane Mir est fier du chemin parcouru depuis les premiers pas de l’événement. « Chaque année on récolte des fonds. L’idée est de semer une graine dans la tête des gens, qui est de ne pas ignorer la misère : parfois, juste un sourire peut aider. Mais notre engagement s’est vraiment concrétisé l’année dernière, puisqu’on a réussi à loger un SDF du quartier grâce à l’action des riverains qui se sont portés caution solidaire. Aujourd’hui, il habite dans un studio rue de La Marne. C’est symbolique, car le festival est parti de lui, c’est lui qui m’en a donné envie de faire quelque chose. » Un grand pas pour Solidaire, qui chaque année fait de son mieux pour venir en aide aux gens dans le besoin. « On pratique des prix très bas, ce qui ne nous permet pas de gagner assez d’argent pour aider des milliers de personnes. Au départ, on voulait associer les spectateurs et les artistes, pour récolter des fonds. Après, soit on les donne, soit on achète des denrées pour les distribuer. On fait de la solidarité de proximité, avec chaque année une action à la hauteur de nos moyens. L’année dernière on a pu donner 500€. Cette année, on a déjà prévu en association avec la ressourcerie Le Poulpe (dans le 18ème arrondissement) une distribution de quelques quarante chaises qu’on a récupéré pour leur local. Les gens pourront venir se servir. On offre aussi le café aux gens dans le besoin le matin, ou des repas. Comme ça, on respecte l’intimité des SDF du quartier, qui ne veulent pas toujours se mélanger aux autres. »

Une autre façon de faire de la culture

A 21h, Stéphane Mir prend place sur la scène centrale des arènes, aux côtés de Gianlorenzo Lombardi, organisateur italien du Girogirocorto. Les deux hommes remercient la centaine de spectateurs venus malgré le risque d’orages, et présentent le programme de la soirée en tout, six courts métrages sont programmés, avec pour la plupart l’équipe de réalisation est dans l’audience.

Gianlorenzo Lombardi (à gauche) et Stéphane Mir (à droite) présentent le déroulé de la soirée (crédits : Mathilde Trocellier)

Pourtant, deux courts métrages plus tard, le ciel et l’ambiance s’assombrissent : la pluie commence à tomber, et des policiers obligent le public à quitter les lieux. « Désolé messieurs dames, mais nous allons vous demander de vider les arènes, nous sommes obligés d’arrêter l’événement ce soir, sur ordre du maire du 18ème arrondissement » clame Stéphane Mir, la mort dans l’âme. En cause : des voisins peu séduits par le festival et ses projections cinématographiques. Il est 22h08, et il restait deux minutes au film en court pour prendre fin. L’équipe du film s’était déplacée pour en parler, tout le monde est très remonté. « Parlez-en sur les réseaux sociaux, mais sans grossièreté, ce n’est pas notre genre » demande Stéphane Mir.

Malgré cette fin de soirée abrupte, les amateurs du festival ne perdent pas leur sourire. Devant la grille des arènes, les discussions vont bon train, certains discutent avec les acteurs présents, d’autres proposent de relancer la soirée ailleurs. Finalement, ce sont les paroles de Stéphane Mir qui font écho à ce rideau de fin étrangement baissé. « Notre festival a sa propre identité et sa propre manière de fonctionner, donc ça ne serait pas constructif de nous comparer à d’autres événements. Je suis content qu’il y ait des manifestations organisées partout, surtout en temps de Covid, mais au-delà de ça, notre festival est pensé pour nous interroger sur notre façon de faire de la culture, et pour mieux l’implanter dans la ville. En essayant de rapprocher la culture de la population qui n’y a pas forcément accès. »

Il semblerait que tout le monde ne l’apprécie hélas pas à sa juste valeur. Peut-être est-ce une forme de flatterie pour le festival Solidaire des arènes de Montmartre. Après tout, André Gide ne disait-il pas dans ses Feuillets « Pour moi, je veux une œuvre d’art où rien ne soit accordé par avance ; devant laquelle chacun reste libre de protester » ? Rien de tel, donc, qu’une protestation pour élever au rang d’œuvre ce festival peu commun, qui battra son plein encore jusqu’au 17 septembre. Sa programmation complète est à retrouver sur Facebook.

Par Mathilde Trocellier

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