Les associations de Toronto face à la crise du logement

La capitale économique et financière du Canada a à nouveau enregistré les deuxièmes loyers les plus élevés du pays. Face à cette situation, la population fait front.

Selon le dernier rapport national de l’agence Urbanation, le prix moyen du loyer d’un studio dans la ville a bondi de 23 % depuis la même période l’an dernier, grimpant à $2.532 par mois (1744€) tandis que les loyers d’un F2 s’établissent désormais à $3.347 par mois (2305€). Le 10 janvier 2023, le maire John Tory, tout juste réélu, a dévoilé les ambitions de la mairie pour adresser une crise dont les conséquences deviennent gravissimes avec l’hiver qui approche. Un plan municipal qui ne consiste qu’à contourner le problème. L’immobilisme des autorités a crée une nouvelle dynamique parmi les citoyens qui se regroupent pour pousser les organes politiques à prendre leurs responsabilités.

Un marché immobilier national dans la tourmente

Moshe Lander, économiste à l’Université Concordia de Montréal, estimait le 10 janvier 2023 sur la chaîne CTV News qu’une crise plus grave du marché immobilier canadien restait envisageable car les prix des logements était « véritablement surévalué » par rapport à leur valeur réelle. Cette mise en garde est intervenue peu de temps après que le PDG de la Banque Scotia, une des principales banques canadiennes, s’étende à la télévision nationale sur le danger que représentait la montée constante des taux d’intérêts et de l’inflation, qui pourraient plonger des dizaines de milliers de détenteurs de prêts hypothécaires dans une spirale infernale.

L’absence de coordination et de régulation de la part des différents gouvernements contribue à la dégradation de la situation. La politique de logement du gouvernement fédéral à Ottawa ne s’est traduite que par le ban des acheteurs étrangers, dont les achats en comptant de biens immobiliers ont fait monter en flèche les loyers. Comme l’indique Nemoy Lewis, professeur adjoint à l’école de planification urbaine et régionale de l’Université métropolitaine de Toronto, « une partie du problème est que nous construisons des logements qui sont largement inabordables pour de nombreux Canadiens. » Une réalité que le gouvernement a entérinée le 1er janvier 2023, en interdisant aux non-Canadiens d’acquérir une propriété immobilière ou foncière dans le pays et ce pour une durée de deux ans. Cependant, aucune mesure incitative n’a été décidée en parallèle pour inciter les promoteurs immobiliers à construire des logements abordables pour les Canadiens.

Quant à la situation de Toronto et de son agglomération, la province de l’Ontario est probablement l’acteur gouvernemental qui porte la plus grande responsabilité dans la crise actuelle. En 2018, le gouvernement provincial nouvellement élu à Queen’s Park, dirigé par le Premier ministre Doug Ford, a levé le contrôle des loyers pour tenter de motiver les promoteurs à construire de nouveaux logements et atténuer la pénurie. Sur le long terme, cette mesure s’est révélée inefficace comme le rappelle Lewis : « Lorsque vous regardez par votre fenêtre à Toronto et que vous voyez toutes ces grues et tous ces immeubles en construction, vous ne penseriez pas que nous avons un problème de logement. » Avec la flambée de l’inflation et des taux d’intérêt, les propriétaires ont exploité la loi de 2018 pour augmenter les loyers de manière indécente, à l’ire des associations locales qui tentent de se regrouper pour faire pression sur les gouvernements, en particulier sur la mairie de Toronto.

                                   Chantier de The One (Yonge & Bloor), Toronto, 22 janvier 2023

Une union politique inédite des communautés de Toronto face à l’apathie municipale

Dans une initiative inédite, les communautés de Toronto se sont regroupées pour former le collectif Another Toronto is Possible et demander la fin des mesures anti sans-abris promues par le maire John Tory. Ce dernier, qui blâme Queen’s Park pour le manque de moyens qui peuvent être alloués à la politique municipale de logement, pousse un agenda sécuritaire complètement déconnecté des réalités sociales de la ville. Et dans un pays où les syndicats n’ont peu voire pas d’influence sur les décisions prises par les différents gouvernements, le seul rempart politique est constitué par les communautés, des groupes d’intérêts organisés par intérêt commun (LGBTQ+, etc..), et les associations de quartiers. Leur activité commune sur les réseaux sociaux sous l’égide de Another Toronto is Possible a suffisamment fait parler pour rassembler quelques centaines de Torontois devant la mairie, une mobilisation de taille dans une ville réputée pour son apathie politique.

Manifestation du collectif Another Toronto is Possible devant la mairie de Toronto, 24 janvier 2023 (by journalist Adam Lee)

Un début d’initiative citoyenne qui ne sera sans doute pas suffisant pour empêcher le vote à venir du nouveau budget municipal. Les demandes du maire, qui incluent entre autres l’augmentation du budget de la police de Toronto de 48.3 millions de dollars, sont fortement controversées à l’heure où les fonds alloués aux centres d’hébergement d’urgence, au logement locatif abordable et aux groupes sociaux en détresse ont été considérablement tronqués.

La colère monte légitimement contre le maire, une véritable girouette politique sur les questions de sécurité et de coparticipation citoyenne. Lui qui déclarait en 2018 qu’il ne « pouvait pas supporter » les changements imposés « sans une seule seconde de consultation publique » et qui a fait campagne cet automne contre les appels au financement de la police, a néanmoins déclaré mi-janvier que la ville « ne pouvait pas remettre à plus tard l’investissement » dans les forces de police.

Publication du groupe Showing Up for Racial Justice (SURJ) Toronto, 16 janvier 2023

Le maire présentera son nouveau budget le 1er février devant un conseil municipal acquis à sa cause, l’opposition ayant été affaiblie par la décision surprise de réduire le nombre de membres du conseil de 48 membres à 24 en 2018. Exploitant les récents incidents dans les transports en commun torontois, dont certains mortels, le maire a obtenu le soutien de la plupart des conseillers en rejetant le problème sur Queen’s Park.

Pour reprendre les mots de Sue Dexter, éditorialiste de l’Annex Gleaner, un journal local : « les conseillers peuvent toujours débattre et voter, ils peuvent exprimer les souhaits des résidents, mais le maire peut tuer toute question qu’il juge être dans le champ de compétence de la province avec une minorité d’un tiers plus un, et un trait de stylo. »

Le conflit latent entre Queen’s Park et la mairie, et la division de l’opposition sur la place à accorder au volet sécurité, ne présage rien de bon pour les loyers des Torontois ce printemps. Mais la mobilisation des communautés à travers Toronto, et plus généralement, dans les grandes villes du pays, a attiré l’attention du gouvernement fédéral qui commence à travailler sur un plafonnage des loyers.

Par Inès Mahiou

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