Tandis que les jours rallongent avec l’arrivée de l’été, Combat vous propose de replonger dans la chaleur d’une soirée en compagnie de deux artistes du collectif héraultais Line Up. Cet article est issu de notre cinquième numéro La nuit nous appartient, disponible ici.
« – C’est quoi une nuit parfaite selon toi ? – Une nuit comme celle-là. »
PREPARATIFS. Il est 23h lorsque No Luck et Mara se donnent rendez-vous dans les ateliers de l’association montpelliéraine Line Up. La nuit est tombée depuis au moins deux bonnes heures, et pourtant elle n’est pas très fraîche. Montpellier reste chaude du soleil qui la martèle depuis quelques jours, et ce malgré la pluie qui tombe épisodiquement. La Lune est pleine ce soir. L’air est humide de la pluie qui menace de tomber. « J’ai bien envie d’aller traîner du côté de l’Avenue de Toulouse ce soir » lance Mara à son collègue et ami No Luck. Cette avenue, proche du centre-ville, est connue pour sa vie nocturne, et de grands murs blancs s’offrent aux artistes qui passent par là. « Ouais, pourquoi pas » répond No Luck. Pour eux, l’emplacement n’a pas vraiment d’importance, ils fonctionnent au coup de cœur. Tous les deux postés dans un coin de leur atelier, chaque station avec son matériel et son énergie, ils règlent les derniers préparatifs avant leur session nocturne. Mara s’occupe de découper son dessin, de le ranger grossièrement dans son sac et de préparer sa colle, tandis que No Luck choisi ses pinceaux et sélectionne la peinture qu’il prendra avec lui ce soir. Il opte pour du rouge, étant en ce moment dans sa période « ocre ». Membres depuis deux ans de Line Up, les deux artistes sont devenus amis avant l’association, et continuent de travailler ensemble. « Essentiellement, Line Up nous permet de faire comme avant, sauf qu’on peut avoir des envies différentes. » S’ils n’ont pas la même façon de travailler, puisque Mara est colleur et No Luck peint sur les murs, ils collaborent souvent ensemble, ayant trouvé un certain équilibre dans la combinaison de leurs travaux. Pour Mara, la préparation est presque terminée, il ne manque plus qu’à trouver un pinceau. « Je regarde si j’en n’ai pas un, mais je crois que je les ai tous laissé chez moi » crie No Luck à Mara, en train de fouiller dans une pièce adjacente à leur atelier. Au bout de quelques minutes, tout est prêt. « On a tout ? » Il est 23h34, et une fois le rideau de fer qui protège les locaux de Line Up baissé, on peut se mettre en marche. Dehors, l’humidité est passée, la pluie partie avec elle. Il ne pleuvra pas. La nuit peut commencer.

MARA. Les motos et voitures se succèdent sur l’Avenue de Toulouse, tandis qu’un groupe d’adolescents attend que sa pizza soit prête pour la déguster. Ça rit, ça parle fort, ça marche. De la musique résonne, un barbier est bizarrement encore ouvert. Mara et No Luck n’y prêtent pas attention, ils avancent, à la recherche d’un spot parfait pour Mara. Celui-ci est colleur depuis dix ans. Son style se démarque des autres artistes par une croix qu’il ne manque jamais d’ajouter à la figure des personnages qu’il dessine, attribut physique qui leur donne une valeur symbolique, les rendant universels. « C’est aussi une facilité pour moi. J’ai commencé à mettre des croix sur les visages car je n’arrivais jamais à dessiner le visage des hommes que je créais, ça fichait en l’air mon travail. Un jour, j’ai fait une croix, et c’est resté depuis. » Ses personnages sont simples, les bras longs et les jambes fines, ils ressemblent au monstre Slender Man, la croix sur le visage en plus. Mara aime les mettre en scène, créer des situations où les faire évoluer. Ce soir, son bonhomme sera seul, il se tiendra debout et sera affublé d’une auréole, avec dans ses bras, un singe couronné. Après une vingtaine de minutes de marche, Mara s’enfonce dans une rue et trouve un mur qui lui convient : il est grand, blanc, vierge de travail antérieur. « Je ne colle que sur des murs vierges, sinon je trouve que mon dessin se perd dans ce qui est déjà sur le mur. » Le dessin préalablement découpé et plié est apposé sur le mur une première fois, pour voir où mettre la colle. No Luck aide, il tient le dessin, aide à visualiser, donne son avis. Une fois l’emplacement établi, il est temps de coller. « Je dessine sur du papier kraft au Posca noir, c’est un choix économique et puis c’est une technique facile à travailler. Je peins à l’atelier, il me reste ensuite juste à mettre de la colle en dessous du dessin, et par-dessus » explique Mara, alors qu’il passe une première couche de colle sur la façade. Le dessin est ensuite placé, et une deuxième couche de colle vient le fixer définitivement sur le mur. Ses personnages, Mara les a déjà collés des centaines de fois dans Montpellier, à tel point qu’il n’est pas anodin de voir son personnage à la croix à chaque coin de rue. Mais l’artiste ne s’est pas contenté que la ville occitane. « J’ai déjà collé à Londres, à Florence, Rio, Paris, Marseille… » En énumérant les villes, il termine son dessin. En une quinzaine de minutes, l’œuvre est finie, il ne reste qu’à la recouvrir une dernière fois de colle. Mara se pose ensuite pour l’admirer. « C’est universel de travailler avec les images, tu peux être compris malgré la barrière de la langue. » Ce soir, il caricature avec son personnage le régime de tout un chacun, capable de se créer un monde dans lequel il sera roi, au dépend des autres. « Ce qui prime, c’est le message. » Une fois l’œuvre terminée, il est temps de se remettre en marche. No Luck, qui jusque-là avait été en retrait, prenant quelques photos de Mara en pleine action pour les réseaux sociaux, est soudain en tête : c’est à son tour de trouver un spot où s’installer.

NO LUCK. A l’opposé de Mara, No Luck ne colle pratiquement jamais, il peint. Préférant des murs abîmés à de grands espaces lisses, il aime « peindre dans les murs brisés, ça donne du sens à mes dessins. » Faisant apparaître sous des crêpis défraichis des runes anciennes, comme si le temps venait seulement de les révéler, No Luck devient la nuit archéologue. Celui qui, après avoir travaillé dans le graphisme, est artiste depuis cinq ans. Ayant toujours eu affaire à des typographies, il a finalement trouvé la sienne et l’appose aux murs qu’il trouve. Sorte de mélange de runes et de symboles énigmatiques, l’écriture de No Luck embellie l’espace. Un travail esthétique qui a un certain prix : si Mara est colleur, et ne risque presque rien à exercer son art, No Luck n’a pas cette chance en tant que peinte. « Je peux me faire coincer par les flics » explique-t-il. Et pour ça, il ne prend pas de risques inutiles. Ce soir, le mur abîmé déniché au coin d’une rue voit son crêpi tomber en lambeaux. N’hésitant pas à enlever des pans entiers abîmés, No Luck créé son espace et le façonne selon son envie. Il est alors temps de sortir les outils : un pinceau, de la peinture rouge et un compas géant. « En ce moment, mes écritures sont en cercle » précise l’artiste qui a déjà commencé à peindre après avoir préparé son canva. Cette fois, c’est Mara qui est en retrait. Personne n’ose parler, de peur de déranger la concentration du peintre. « Ah, voilà, j’ai raté » s’exclame soudain No Luck, après avoir mis de la peinture au mauvais endroit. Des rires et des essais pour l’enlever plus tard, ça ne prend pas. Tant pis, le raté restera là. La nuit bat son plein, tandis que No Luck est absorbé ailleurs. Apportant les détails finaux, l’artiste demande à Mara comment terminer. « Je ne sais pas comment compléter. » C’est donc avec quelques symboles que No Luck rempli les espaces qui lui restent, avant de remballer sa peinture et son pinceau.

FINAL. La soirée des deux compères touche à sa fin. Maintenant, « on peut aller dormir » ironisent-ils. Eux qui préfèrent travailler la nuit, pour le calme et la tranquillité, se demandent s’ils ne vont pas faire une dernière ronde et trouver de nouveaux spots. Peut-être faire du repérage, pour une prochaine session. C’est comme s’ils ne voulaient pas que la nuit se finisse vraiment. Et après tout, il n’est qu’une heure du matin, elle est encore jeune.
Propos recueillis par Mathilde Trocellier / Crédits photos : Mathilde Trocellier
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