Lyon-Turin (1/3) Histoire anachronique d’un projet écocide

A l’occasion de la mobilisation de ce week-end en Maurienne en opposition aux travaux, Combat vous propose de comprendre tous les enjeux du sujet dans une série en trois volets.

Les années 90 ont marqué un tournant à deux dimensions dans les échanges commerciaux entre la France et l’Italie. A la fin de la décennie précédente, la vallée de la Maurienne tendait vers une telle accélération du transport de marchandises que l’on annonçait une saturation dès 2012, corrélée à une importante pollution de l’air causée par un nombre considérable de camions traversant les villages de la vallée. Un vif ralentissement enregistré depuis le début des années 2000 remet en perspective ce projet devenu obsolète.

En 1995, 1,5 millions de tonnes de ces poids lourds y circulaient. Il était temps de passer tout ce trafic infernal sur le fret, déjà emprunté quotidiennement par plus d’une centaine de trains.

La lueur au bout du tunnel ?

La ligne existante, reliant Chambéry à Turin par l’intermédiaire du tunnel ferroviaire du Fréjus, inauguré en septembre 1871 assurait alors l’envoi de 10 millions de tonnes de marchandises vers l’Italie chaque année. En 1998 on comptait environ 130 trains par jour ainsi qu’une dizaine d’aller-retour au service des voyageurs. Ce n’était malheureusement pas suffisant pour désengorger les villages de manière notable et pérenne.

Afin de mettre un coup de frein à cet incessant va-et-vient de poids lourds bruyants et pollueurs, voire de les faire disparaître du paysage mauriennais, l’idée d’un second tunnel prend vie.

Les travaux du tunnel du Lyon-Turin au niveau de Saint-Martin-de-la-Porte en Savoie.  ©PHOTOPQR/Maxime JEGAT –

Louis Besson, ancien ministre des Transports et maire de Chambéry, est sommé par les gouvernements français et italien de piloter le projet, dès la fin des années 1980. Ce projet faramineux de la Transalpine, fruit du lobbyisme des transports, devrait servir à l’acheminement d’1,9 millions de passagers annuels, en plus de créer pour les marchandises, une nouvelle liaison ferroviaire entre les deux pays, devenant le premier maillon du corridor méditerranéen. Il a fallu attendre 2001 pour qu’il soit validé par les instances étatiques, et ainsi lancer les premières études.

Si cette ligne de chemin de fer est en adéquation avec les enjeux environnementaux et socio-économiques de l’époque, les citoyens n’en sont pas convaincus. L’émergence de mouvements d’opposition tels que NoTav signe l’acte antidémocratique qui se joue sur la scène franco-italienne.

Entre temps, en 2003, sur la commune d’Aiton aux portes de la Maurienne, l’installation d’une zone de report modal vient compléter cet engagement environnemental : si tous les transporteurs suivent la voie, la situation écologique catastrophique de la vallée pourrait être endiguée, tout du moins, le promet-on.

Mais voilà, les temps ont changé, la demande n’est plus la même que lors de ces années fastes entre nos frontières. Bien que le capitalisme, lui, ne cesse de pousser aux échanges et à une mondialisation toujours plus forte, à l’aube de ce nouveau millénaire la réalité du transport franco-italien est profondément transformée.

Un projet anachronique

Aujourd’hui, le constat est sans appel, la ligne ferroviaire est sous-utilisée : 92% du trafic se fait toujours via l’autoroute et la nationale. Seulement vingt-six trains par jour, contre cent de plus vingt ans auparavant ; la situation est similaire à l’entrée du tunnel du Mont-blanc, au total 1 447 590 poids lourds cumulés par les deux tunnels, soit l’équivalent du trafic de 1993. De 10 millions de tonnes sur les rails, le trafic a diminué jusqu’à atteindre 3,3 millions de tonnes annuelles. Cette large diminution va dans le sens d’une toute relative sobriété du transport transfrontalier, et pourtant, le chantier continue.

Le temps c’est de l’argent ! Depuis l’instauration de l’espace Schengen, les douanes n’exercent plus systématiquement, la route est libre d’une attente de quatre heures décriée par les transporteurs de l’époque. Enfin, grâce aux nombreux travaux effectués sur la voie alpine, le fret doit pouvoir être utilisé à la hauteur de ses capacités. Tout a été mis en œuvre dans le but de réduire drastiquement le recours à la route, au profit du fret.

Les routes sont certes moins encombrées, bien que le passage des poids lourds jour et nuit au cœur des communes mais aussi sur l’autoroute toute proche, reste un grand problème difficilement supportable pour les habitants. En plus de respirer les gaz d’échappement de part et d’autre, ceux-ci subissent maintenant les méfaits du désormais célèbre Grand Chantier.

Nous sommes entrés dans une ère qui doit résolument ralentir les échanges, ne plus faire transiter des tonnes de marchandises et produire localement les denrées nécessaires à la survie de nos pays. Il va donc de soi que pour se tourner vers une décroissance systémique, le recours à l’import/export est dans l’obligation de revoir son modèle.

Alors, pourquoi un tel acharnement en faveur du Lyon-Turin?

30 milliards

La réponse tient peut-être en quelques chiffres. TELT appartient à l’État français, par l’intermédiaire du ministre de la transition écologique, dont le président est lui-même élu par le chef de l’État. Jeu des vases communicants ? Le projet total aura coûté 30 milliards d’euros. Un investissement considérable alors qu’il n’est pas certain d’aboutir. Trois nouveaux milliards viennent d’être mis sur la table des négociations, toujours offerts par l’État, en contrepartie d’un désastre écologique et social qui lui ne se compte pas en euros.

La mobilisation en Maurienne des 17 et 18 juin prochains sera l’occasion de rendre sa transparence à ce pharamineux projet écocide et anti-démocratique, de lever un voile bien trop opaque tant sur l’aspect financier qu’humain, afin d’informer chaque strate de la population locale ou internationale à la réalité des enjeux de la Transalpine.

Par Jessica Combet

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