Mélanie Popoff traque les perturbateurs endocriniens

La récente proposition de loi visant à interdire les Pfas fait (re)surgir le sujet de ces substances chimiques, présentes en grand nombre et partout. Nous vous proposons aujourd’hui de partir à la rencontre de la médecin, mère de famille, activiste, cofondatrice de l’association Alliance santé planétaire et autrice de l’essai Perturbateurs endocriniens : on arrête tout et on réfléchit, paru aux éditions Rue de l’échiquier à l’automne dernier.

Ils sont là, tout autour de nous, dans l’air que nous respirons, dans l’eau que nous buvons, dans ce que nous mangeons. Ils sont présents dans notre mobilier, nos vêtements, les cosmétiques, les produits ménagers, les jouets et les peluches de nos enfants, dans nos sols, nos ustensiles de cuisine, dans les emballages. Ils viennent perturber notre système endocrinien, et nous rendre malades.

Ces substances chimiques appelées perturbateurs endocriniens (PE) sont des molécules chimiques de synthèse issues de la pétrochimie, fabriquées par l’humain. Ils servent de plastifiants et de conservateurs. Présents dans deux tiers des pesticides, dans les médicaments, les solvants, les retardateurs de flamme, ils ont des propriétés antiadhésives, isolantes, ou imperméables. Chaque humain est imprégné par ces substances présentes dans le sang, l’urine, la graisse, le lait maternel. Elles passent la barrière placentaire et contaminent les fœtus. Et s’il faut accepter que toute la population soit empoisonnée, les différentes réglementations nationales, européennes et mondiales continuent à autoriser la mise sur le marché de ces poisons modernes.

Les perturbateurs endocriniens passent la barrière placentaire et contaminent les fœtus.

La science, et les autres, contre-attaque

C’est à l’issue d’une « crise de sens » comme elle le qualifie, que la médecin Mélanie Popoff s’est formée sur la question de la pollution environnementale et chimique. Diplôme d’université en médecine environnementale, puis de santé publique en poche, elle souhaite « apprendre à mettre en pratique ces connaissances autour de la création de milieu favorable à la santé. »

C’est une grande frustration qui l’habite alors qu’elle travaille à l’hôpital. « On estime qu’on est au meilleur endroit pour agir pour le bien des gens, mais ça ne m’allait plus d’arriver une fois qu’ils étaient malades » confesse-t-elle. Diagnostiquer, soigner, conseiller, restait pour elle insuffisant alors qu’elle commençait à prendre en considération le poids de l’environnement sur la santé. Même si elle semble déplorer le fait d’être arrivée « tardivement » à la santé environnementale, la voilà spécialisée dans le dépistage et la prévention auprès des enfants, dans le but « de réduire les inégalités sociales et de santé. »

Paru en automne dernier, son essai sur les perturbateurs endocriniens lui a permis « de porter un message anticapitaliste et de décroissance, avec une voix de médecin et la légitimité du médecin, avec comme argument la santé et non pas l’écologie. » Il est le reflet de sa pensée, qu’elle qualifie volontiers de radicale. Avec un discours audible, percutant et accessible à toutes les strates de la population, Mélanie Popoff se fait messagère : « la santé est un levier de l’écologie, un cheval de Troie. »

Il y a deux ans, elle cofondait l’association Alliance santé planétaire, qui fait le plaidoyer de cette vision globale de la santé « comme modèle », puis de diffuser, dans le milieu universitaire, lors de formations ou encore par le biais de documentaires, cet idéal de sobriété médicale : « il faut qu’on change nos façons de voir les maladies. Il nous faut soigner avec des pratiques sobres, faire de la prévention pour mettre moins de poids sur les hôpitaux et ainsi avoir moins besoin de soins. » L’association ne regroupe pas uniquement des soignants. Mélanie affirme que chacun peut contribuer à la santé, que l’on soit « architectes, maraîchers, politiques, ingénieurs, urbanistes, réalisateurs, géographes. »

A l’assaut des perturbateurs endocriniens

« La première source de contamination, c’est l’alimentation ». Le constat se fait amer et la colère peut vite prendre le dessus. Colère contre les industriels, les lobbies, contre le gouvernement, les normes et réglementations largement insuffisantes à protéger la planète et notre santé.

Nous ne sommes pas tous égaux devant les PE : les fenêtres de vulnérabilité que représentent la grossesse, la vie intra-utérine ainsi que les trois premières années de l’enfant, puis la période allant de la pré-puberté à la puberté, augmentent les risques de maladies multifactorielles liées à la contamination. En décembre dernier, Santé Publique France rendait un rapport pour le moins alarmant : vingt-et-un effets sur la santé sont imputables aux PE,  parmi lesquels figurent le diabète, l’obésité, la puberté précoce, les malformations génitales, l’endométriose, les cancers hormonodépendants, les troubles du développement neurologique, l’asthme.

Comment agissent-ils sur l’organisme ? Les PE viennent, comme leur nom l’indique, perturber le fonctionnement des hormones, soit en les imitant mal, soit en les bloquant, ou bien encore en empêchant leur fabrication ou leur destruction. Les endocrinologues avec lesquels Mélanie a pu échanger sont formels sur le fait que le mode de vie et la génétique n’expliquent pas seuls les maladies métaboliques comme le diabète et l’obésité. Il existe un consensus scientifique sur une participation de la pollution environnementale. Pour comprendre le rôle prépondérant des PE sur le diabète, Mélanie nous explique que l’hormone qui régule le sucre ne le fera que d’une certaine façon, et si le message n’est pas le bon, trente ans plus tard, peuvent arriver des modifications appelées épigénétiques, c’est-à-dire la façon dont les gènes s’expriment, et ainsi complètement dérégler la gestion du sucre. Ces modifications peuvent être transmissibles aux générations suivantes, à l’image du distilbène qui continue de rendre malade les petits-enfants des femmes ayant suivi le traitement. Un lourd fardeau transgénérationnel.

S’il faut trois mois aux industriels pour mettre une nouvelle substance sur le marché, il faut en moyenne sept à huit ans pour l’en retirer lorsqu’elle est reconnue comme dangereuse pour la santé

Et chez les PE, ce n’est pas la dose qui fait le poison, mais bien le moment d’exposition, d’où les fenêtres de vulnérabilité citées précédemment. Il se peut également qu’une molécule seule ne soit pas répertoriée comme perturbatrice du système endocrinien mais qu’une fois additionnée à d’autres, elle le devienne. C’est ce que l’on appelle l’effet cocktail. C’est le cas, par exemple, du glyphosate : « en tant que tel ce n’est pas un PE. Cependant, mélangé à d’autres substances, pour parvenir au Round up, il le devient », ajoute l’autrice, avant de soupirer « il n’y a pas de frein, pas de contrôle. L’industrie chimique relargue sans cesse de nouvelles molécules dans l’environnement. »

En effet, s’il faut trois mois aux industriels pour mettre une nouvelle substance sur le marché, il faut en moyenne sept à huit ans pour l’en retirer lorsqu’elle est reconnue comme dangereuse pour la santé, quand elle n’est pas remplacée par une autre tout aussi dévastatrice. C’est le cas avec le bisphénol A, largement présent dans les contenants alimentaires jusqu’en 2015 où il a été interdit dans les emballages d’aliments à destination des enfants, puis substitué par le bisphénol F, qui pose sensiblement les mêmes problèmes et tend à rester plus longtemps dans l’organisme que son prédécesseur.

Une réglementation dictée

« Il n’y a pas de population témoin puisque chaque humain est imprégné » et les études sont insuffisantes par manque de moyens, alors que le poids des lobbies se fait toujours plus imposant. Les molécules passent des tests inadaptés aux mécanismes d’action pathologiques, c’est-à-dire qui ne prennent pas en compte les fenêtres de vulnérabilité ainsi que l’effet cocktail évoqués précédemment. Les ONG tentent de faire interdire les substances par famille et non pas une par une, ce qui empêcherait le remplacement par une autre molécule ayant les mêmes propriétés physico-chimiques, et une perte de temps amoindri.

« La science va plus vite que la réglementation, la santé publique va moins vite que les connaissances scientifiques, les recommandations nutritionnelles ne prennent pas en compte les périodes de vulnérabilité », regrette Mélanie Popoff, alors qu’en face, du côté des lobbies, « la défense d’intérêt économique est efficace, organisée et partout ! » Ils mènent leurs propres recherches et gagnent la bataille à grands coups d’argent et de pression, comme le groupe Seb en marge du vote de la proposition de loi visant à interdire les pfas. C’est la fabrique du doute qui prend le pas sur l’intérêt publique. Et Mélanie d’ajouter « c’est un problème de démocratie sanitaire. On n’a pas la main sur ce que l’on mange, sur les produits que l’on utilise. Nous, médecins, sommes dépossédés de notre savoir médical et nous ne pouvons pas agir. »

Le projet de loi d’interdiction des pfas votée ce début avril n’intègre pas les ustensiles de cuisine.

Concernant le projet de loi d’interdiction des pfas votée ce début avril, elle n’intègre pas les ustensiles de cuisine, uniquement les vêtements, cosmétiques et farts (à destination du monde du ski). En revanche, les importations de produits contenant ces substances resteront sur le marché et nos poêles continueront à nous empoisonner à petits feux. La France est malgré tout le pays qui a la plus grande ambition de lutte contre les polluants éternels…

Au niveau européen, le règlement REACH de 2007 inscrit dans le cadre du Pacte Vert qui vise à atteindre un niveau zéro de pollution pour un environnement exempt de substances chimiques, ne sera finalement pas révisé cette année, alors qu’il impose aux entreprises qui fabriquent et importent des substances chimiques d’évaluer les risques résultant de leur utilisation et de prendre les mesures nécessaires.

On arrête tout et on réfléchit ?

Aujourd’hui nous savons quelles sont les sources principales de perturbateurs endocriniens, et les collectivités territoriales mettent en place de nombreuses directives comme retirer les sols en PVC des crèches et des écoles ou installer des chartes Ville sans PE. La municipalité de Strasbourg distribue même des paniers de légumes bio à destination des femmes enceintes. Bien que nécessaires, ces changements, qu’ils soient collectifs ou individuels, ne suffisent pas. Il ne s’agit pas uniquement d’aérer son intérieur, de cultiver ses légumes dans son potager ou de fabriquer ses propres cosmétiques maison. Mélanie Popoff affirme qu’il faut que cela vienne de partout. Nous avons besoin d’exemples, d’alternatives désirables, que les produits venant d’ailleurs subissent tous les mêmes contraintes sanitaires et écologiques, et que celles-ci soient strictes.

Si la pression populaire est efficace, comme elle l’a été récemment, après la diffusion du documentaire Pfas : comment les industriels nous empoisonnent réalisé par Camille Etienne et son équipe, en interpellant les députés, alors la balle peut entrer dans le camp de la santé publique.

Par Jessica Combet

Mélanie Popoff, Perturbateurs endocriniens, on arrête tout et on réfléchit !, Rue de l’échiquier, 2023, 144p, à retrouver ici

Laisser un commentaire