Contre le “Choc des savoirs”, nous défendons une société de l’enfance libérée

Suite aux propos du Premier Ministre appelant au « choc des savoirs », Combat publie cette Tribune réalisée par des enseignants membres de REV.

Suite à la mort du jeune Nahel tué par la police l’année dernière, des révoltes urbaines ont éclaté. Le gouvernement a alors fustigé la jeunesse et sa violence, bien loin de percevoir la légitimité d’une colère qui trouve sa source dans les inégalités de notre société. Dans ce contexte encore frais, le mois dernier, le Premier ministre Gabriel Attal a multiplié les annonces sur l’éducation, entendant “réparer” les mineurs délinquants et remettre les élèves décrocheurs “sur le droit chemin”.

Ces mesures autoritaires s’inscrivent dans une nouvelle casse de l’éducation nationale, avec une vision passéiste de la jeunesse, basée sur l’illusion de la méritocratie. Zoom sur des déclarations d’un autre temps et sur la nécessité d’envisager une toute nouvelle société autour d’une enfance libre et protégée.

Groupes de niveau : vers une accélération des inégalités

Avec la mise en place de groupes de niveau, d’abord en mathématiques et en français en 6e et 5e, puis dès l’année prochaine en 4e et 3e, Gabriel Attal fait le choix de la stigmatisation : plutôt que de donner les moyens dont les élèves les plus défavorisés ont besoin à l’école, il préfère creuser les écarts par la discrimination.

Alors que la dernière enquête PISA[1] pointe du doigt la France quant aux inégalités à l’école, et alors que c’est précisément dans ce pays que l’origine sociale d’un élève pèse le plus sur ses résultats, ces réformes vont encore plus aggraver les inégalités. Diverses études[2] démontrent qu’il faut au contraire favoriser et développer l’entraide entre élèves, dans des classes plus petites et qui permettent un réel accompagnement personnalisé via des groupes de niveau hétérogènes. L’entre-soi, l’élitisme et l’absence de mixité sociale portés par le gouvernement Macron sont des méthodes qui ont déjà montré leur inefficacité : c’est un projet de société délétère.

50 heures par semaine à l’école : une fausse bonne idée

Gabriel Attal a annoncé vouloir contraindre les élèves des zones d’éducation prioritaires à des semaines de 50 heures. Cette annonce traduit un manque cruel de compréhension de la réalité de l’école, de l’enfance et des quartiers populaires.

Rappelons dans un premier temps qu’être assis sur une chaise de 8 heures à 18 heures n’est pas souhaitable pour la santé. Encore moins pour celle de jeunes qui ont besoin de se dépenser. Ensuite, si des élèves se trouvent parfois en difficulté dans des établissements en zone prioritaire, c’est avant tout du fait de la situation d’injustice sociale qui règne dans ces espaces. Au lieu d’allonger le nombre d’heures passé à l’école, il faudrait avant tout réinvestir le social de ces territoires, accompagner les familles, donner plus de moyens à l’éducation nationale, bref : lutter contre la fracture sociale.

Éradiquer la violence par l’internat : une croyance trompeuse

“Vous êtes content d’être là ? questionne le Premier ministre lors de sa visite d’un internat scolaire, le 22 avril à Nice. Quelques “non” se font entendre. “C’est rassurant“, plaisante ce dernier. Le ton est donné. Les élèves ont manifestement été contraints à intégrer cette expérimentation qui deviendra la norme : l’internat, jusque-là outil d’un projet de scolarité, est voué à devenir un instrument de sanction et d’éloignement réservé aux élèves “décrocheurs”.

Les séjours de distanciation, d’apaisement voire de rupture sont des outils connus et dont l’efficacité n’est plus à prouver dans le domaine de la protection de l’enfance. Mais alors que dans le cadre habituel, l’équipe éducative s’efforce à recueillir un minimum d’adhésion chez le jeune qui retourne chez lui au terme de son séjour en mettant à sa disposition des outils pour se reconstruire et s’épanouir, le projet du gouvernement est tout autre : il propose militaires, policiers et éducateurs[3]. Une formule qui interroge et qui va à l’encontre de ce qui fonctionne dans le secteur.

En effet, la prévention de la délinquance et du décrochage n’a de sens que lorsqu’elle est réalisée dans l’environnement de vie des jeunes en difficulté. Ainsi, il serait plus judicieux d’investir dans le recrutement d’éducatrices et d’éducateurs de rue et dans l’organisation d’actions collectives de la protection judiciaire de la jeunesse dans les écoles. Cela permettrait de soutenir les associations et les familles et de valoriser tous les tuteurs de résilience, bien présents dans ce que l’on nomme “environnements problématiques”.

Commissions éducatives dès l’école primaire : non à une école de la répression

Après Nicolas Sarkozy, qui prévoyait de déceler chez les jeunes enfants des prédispositions à la délinquance, Gabriel Attal évoque des commissions éducatives dès la primaire, avec des “peines adaptées“. Là aussi, le vocabulaire est orienté vers la répression, au détriment de la prévention.

Partant du principe que l’enfant, entre 3 et 11 ans, serait responsable et conscient de ce qui l’empêche d’avoir la posture attendue, selon le gouvernement, toute action un tant soit peu rédhibitoire mériterait sanction. Le bonnet d’âne sur la tête ou les coups de règle sur les doigts pratiqués autrefois seraient presque regrettés. Pourtant, des solutions non violentes, peu coûteuses et efficaces existent pour déceler les causes des comportements inadaptés au cadre scolaire et trouver des solutions pérennes.

Mais cela requiert des moyens humains, en particulier des assistants d’éducation et du personnel de soin dans les écoles (médecins, infirmières et infirmiers, psychologues). Pour accompagner et soutenir les élèves et les enseignantes et enseignants, il faudrait davantage d’AESH, avec des cadres de travail moins précaires afin de recruter, là où aujourd’hui, toutes les notifications MDPH ouvrant droit à des accompagnements de type AESH ne sont pas honorées. De même, une revalorisation salariale de l’ensemble du personnel éducatif est fondamentale. Enfin, il apparaît important de soutenir le développement de classes ULIS (unités localisées pour l’inclusion scolaire) et d’encourager les dispositifs de scolarisation adaptés, afin de ne laisser aucun élève sur le côté.

Réinventons l’école, soignons l’enfance

Destruction des services publics, augmentation de la précarité et des inégalités : toutes les conditions sont réunies pour favoriser les violences et l’échec scolaire. D’ailleurs, c’est désormais un fait établi : pauvreté et délinquance sont directement liées[4]. Devant un mal-être grandissant chez les adolescents[5], face à un sentiment d’abandon chez les jeunes des quartiers populaires[6] et devant une hausse des dépressions et des suicides chez les étudiants[7], nous devons réagir. Il s’agit de traiter les causes et de révolutionner notre rapport à la jeunesse de notre pays.

Nous, professionnels des secteurs de l’éducation et de l’enfance et membres de la REV, parti politique d’écologie radicale et antispéciste, considérons que l’école nécessite un véritable changement de paradigme. Parce que nous prônons un monde de paix, nous ne pouvons que condamner le “réarmement civique” prôné par le gouvernement.

Ainsi, plutôt que la répression, nous défendons la prévention. Plutôt que le temps contraint, nous prônons le temps libéré. Plutôt que la compétition, nous revendiquons la coopération. Reconstruction des services de protection de l’enfance partout dans le pays, instauration d’un revenu d’existence pour tous les étudiants, réduction drastique du temps de travail pour permettre aux parents de s’occuper de leurs enfants : il faut tout repenser. Si chaque être a le droit inconditionnel à l’épanouissement personnel, si tous les humains doivent pouvoir regagner du pouvoir de vivre, l’empathie doit être placée au centre de nos politiques éducatives  et non plus seulement, comme l’envisagent nos dirigeants, être le titre d’un cours d’éducation civique.

Grégory Perche, enseignant en lycée, Alexandre, éducateur spécialisé dans le secteur de la protection de l’enfance, et Ben Desurmont, ancien assistant d’éducation dans un établissement prioritaire. Tous 3 sont membres de la Révolution Écologique pour le Vivant (REV).


[1] https://www.sudouest.fr/politique/education/classement-pisa-2023-la-france-23e-enregistre-une-baisse-historique-en-mathematiques-singapour-en-tete-17709538.php

[2] https://edupass.hypotheses.org/1080

[3]https://www.publicsenat.fr/actualites/education/eleves-decrocheurs-comment-fonctionnent-les-internats-educatifs

[4] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-journal-des-sciences/pourquoi-la-violence-s-installe-et-perdure-dans-les-milieux-inegalitaires-9345048

[5] https://www.francebleu.fr/infos/sante-sciences/mal-etre-des-adolescents-on-a-un-double-phenomene-une-hausse-et-une-intensification-des-cas-6012005

[6] https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/adolescent-tue-par-un-policier-a-nanterre/reportage-mort-de-nahel-six-mois-apres-les-emeutes-ces-jeunes-d-un-quartier-populaire-de-poitiers-ont-le-meme-sentiment-d-abandon_6267402.html

[7] https://www.letudiant.fr/lifestyle/Sante-mutuelle-et-assurance/pensees-suicidaires-tentatives-de-suicide-les-jeunes-qui-ont-des-idees-noires-doivent-pouvoir-en-parler-autour-deux.html#:~:text=Les%20tentatives%20de%20suicide%20et,celui%20autour%20du%20suicide%20persiste.

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