Ce 6 juillet 2020 s’est éteint Ennio Morricone, quatre ans après sa nomination pour la composition de la musique des films Les Huit Salopards de Quentin Tarantino et En mai, fais ce qu’il te plaît de Christian Carion. Retour sur ce compositeur de génie.
Ennio Morricone, Sergio Leone : Une méthode de travail unique
La musique, ça fait un peu partie du dialogue (Sergio Leone)
Le regard entre les deux hommes est tendre. Il scelle des années de complicité, d’amitié et de collaboration. Un lien fort à l’écran… mais pas que.
« Ennio Morricone : ma méthode de travail avec Sergio Leone » : tel est le titre de cette courte vidéo archivée par l’ina. On y voit dans un premier temps Leone décrivant le rôle que la musique doit jouer dans ses œuvres : « Je cherche, à travers la musique, à donner des émotions, et surtout à travers la psychologie du personnage ». Ennio Morricone s’était souvent étonné qu’on l’associe si rapidement à son implication dans le western spaghetti : « c’est peut-être 7,5 à 8% de ce que j’ai fait », déclara-t-il. Mais il est vrai que ses collaborations avec Sergio Leone sont celles qui ont le plus marqué : en effet, plus loin dans la vidéo apparaît Morricone, expliquant la théorie sur laquelle se basent lui et son camarade d’enfance : « La vue représente 50%, l’ouïe, l’autre 50% [de la réception du film par le spectateur] ». Une connivence parfaitement respectée au cours des six films sur les huit réalisés par Sergio Leone sur lesquels travailla Ennio Morricone : La Trilogie du dollar et la Trilogie Il était une fois. Comment en effet dissocier « Personne » (incarné par Terence Hill et inspiré par le rôle de ce dernier dans la saga Trinita) du ton volatile du thème musical principal du film ? Ou la musique mystérieuse du film Il était une fois la Révolution du personnage de John ?
Ennio Morricone, mort d’une icône
La carrière de compositeur de musiques d’Ennio Morricone de films s’étendit de 1961 à 2018 ; au compteur de ces cinquante-sept ans de métiers s’inscrivent plus de 400 collaborations avec d’inoubliables réalisateurs, parmi lesquels Sergio Leone, Quentin Tarantino, Georges Lautner ou Dario Argento.
Le nom de Morricone, bien souvent, nous renvoie presque instinctivement vers des titres de westerns spaghetti, en particulier ceux réalisés par son ami d’enfance Sergio Leone. Pourtant, sur les 400 films évoqués plus haut, une trentaine environ seulement appartiennent à ce haut et unique genre cinématographique.
Alors, pourquoi relier si vite Morricone à Leone ? Certainement parce que ces deux géants artistiques ont rendu impossible l’idée de se figurer les images d’Il était une fois dans l’Ouest ou Et pour quelques dollars de plus sans que la mélodie ne nous vienne en tête également, et vice-versa. Les films réalisés par Sergio Leone sont incontestablement un enchevêtrement parfaitement réussi d’une série de plans très rapprochés et d’une bande-son riche en émotions. Aucune des collaborations entre les deux hommes ne comporte une seule musique répétée tout au long du film : chaque élément de l’histoire est rythmé par des images et des sons différents ; la seule bande-son de l’un de ces films constitue la moitié de l’œuvre. Des simples et mélancoliques notes sifflées accompagnées d’un doux arpège de guitare d’« Addio a Cheyenne » (Il était une fois dans l’Ouest) au tonitruant autant qu’épique thème de la « Horde sauvage » de Mon nom est Personne qui mêle admirablement chœurs d’adultes et chœurs d’enfants, en passant par les lamentations des trompettes dans Pour une poignée de dollars, Ennio Morricone a su jongler avec images et sons dans une parfaite harmonie. Et ce pendant une carrière durant laquelle il côtoya des artistes tels que Clint Eastwood, Terence Hill, Tony Mutante, Samuel Jackson ou Lee Van Cleef.
Une guimbarde, un sifflement, une voix féminine, des grommellements et jusqu’à une montre de gousset devinrent véritables instruments de musique au bout de la baguette de ce compositeur reconnaissable dès les premières sonorités d’un thème musical. Son art était tel que Sergio Leone fit jouer ses thèmes musicaux durant le tournage, plongeant ainsi C’est à l’âge de 91 ans que, suite à une fracture du fémur après une chute, Ennio Morricone commença à laisser un vide dans l’histoire de la musique de cinéma, cinq ans après son dernier grand succès, la bande originale du film Les Huit Salopards de Tarantino, qui lui valut en 2016 un Oscar et un Golden Globe de la meilleure musique de film, en même temps qu’un César pour la musique d’En mai, fais ce qu’il te plaît ; trois prix qui vinrent côtoyer vingt-cinq autres gagnés antérieurement, couronnant ainsi une longue carrière de cinquante-sept ans.
Rejoignant d’autres grands compositeurs de musiques de films tels que Dee Barton et laissant Vladimir Cosma comme l’un des derniers maîtres encore en vie dans ce domaine, Ennio Morricone, l’homme qui composa pour des réalisateurs aussi bien italiens qu’américains, français ou allemands, fut enterré en toute intimité, laissant à sa famille et à ses proches une nécrologie publiée dans les médias italiens.
Ennio Morricone en quelques dates :
- 10 novembre 1928 : Ennio Morricone naît à Rome d’un père trompettiste qui lui transmettre sa passion et d’une mère femme au foyer ; il est l’aîné d’une fraterie de cinq enfants.
- 1946 : Après six ans passés à l’Académie Nationale Sainte-Cécile dans sa ville natale, il obtient un diplôme de trompettiste.
- 1953 : Ennio Morricone, âgé d’une vingtaine d’années, est engagé pour créer une musique pour une émission radio.
- 1956 : Mariage avec Maria Travia, qui restera sa femme jusqu’à sa mort et dont il aura quatre enfants.
- 1961 : Il compose sa première musique de film pour Il federale de Luciano Salce.
- 1964 : Sortie du premier volet de la trilogie du dollar (ou trilogie de l’homme sans nom), Pour une poignée de dollars, avec Clint Eastwood, réalisé par son ami d’enfance Sergio Leone dont il réalisa toutes les bandes originales. Un film dôté de plusieurs thèmes musicaux, dont celui d’introduction est un véritable symbole de la musique de western.
- 1965 : Sortie du deuxième volet de la trilogie du dollar, Et pour quelques dollars de plus, avec Clint Eastwood et Lee Van Cleef. Des sons de guimbarde adroitement mêlés à des voix puissantes.
- 1966 : Sortie du derniet volet de la trilogie du dollar, Le bon, la brute et le truand, dont le thème principal est devenu un incontournable.
- 1970 : Pour le film L’Oiseau au Plumage de Cristal de Dario Argento, il compose une musique dont la douceur profonde résulte d’un enchevêtrement de choeurs, en décalage volontaire avec le thème du film.
- 1971 : Le compositeur crée une nouvelle musique de film destinée à figurer parmi ses plus célèbres, Chi Mai, pour le film Maddalena. Dix ans plus tard, Chi Mai sera également la bande-son du film Le Professionnel avec Jean-Paul Belmondo. En cette même année de 1971, Michel Polnareff compose la musique de La Folie des Grandeurs en s’inspirant très ouvertement de Morricone.
- 1983 : Enno Morricone compose un Concerto pour flûte et violoncelle. La même année, Metallica introduit son concert par le thème L’estasi dell’Oro, du film Le bon, la brute et le truand.
- 1985 : Deux prix pour la bande originale d’Il était une fois en Amérique, décernés par la British Academy Film et les Nastro d’Argento ; il est également nominé par les Golden Globes.
- 1987 : Il reçoit de nombreux prix, dont le BAFTA de la meilleure musique de film.
- 2007 : Un Oscar d’honneur lui est décerné pour l’ensemble de son oeuvre ; il a alors presque cinquante ans de carrière derrière lui.
- 2015 : Composition de la bande originale du film à thèmes musicaux multiples Les Huit Salopards de Quentin Tarantino, qui lui vaut deux prix l’an suivant, ainsi qu’un autre pour En mai, fais ce qu’il te plaît de Christian Carion.
- 6 juillet 2020 : Il meurt à Rome, sa ville natale, suite à une fracture du fémur.
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