Une ZAD en Suisse, les dessous d’un acte inédit

Chaque week-end, Combat décrypte le sujet que VOUS avez choisi en début de semaine. Cette fois-ci, vous avez choisi celui sur la première ZAD de Suisse.

Au pays de la diplomatie et de la neutralité, un militantisme affirmé voit le jour. Sur la colline du Mormont, au nord de Lausanne, plusieurs dizaines de Suisses occupent la zone. Depuis octobre 2020, les militants défendent le site naturel menacé par l’agrandissement d’une carrière de calcaire servant à la production industrielle de ciment. Alors que la ZAD sera expulsable mi-mars, ce combat inédit s’est bel et bien implanté dans le paysage helvétique.

C’est la première ZAD de Suisse qui s’est installée en octobre dernier contre un projet dénoncé par les associations écologistes depuis 2013. Entre combat juridique et désobéissance civile, cette Zone À Défendre est aujourd’hui source de débat à différentes échelles, nationale comme locale.

La colline du Mormont, ses richesses, ses acteurs et ses enjeux

À la colline du Mormont, les débats s’animent entre entreprises et habitants, et cela depuis 2013. Les militants s’opposent à un projet de cimenterie datant de 1953 qui s’enfonce de plus en plus dans la colline et est devenu, en 2015, une filiale de la multinationale Lafarge Holcim (2,2 milliards de francs de bénéfice en 2019). Cette exploitation, bien qu’ancienne, impacte dangereusement la biodiversité de l’endroit. Expertisé par l’Association pour la Sauvegarde du Mormont (ASM), on y trouverait plus de neuf-cent espèces de plantes. Ce massif est un des plus grands passages de faune entre les Alpes et le Jura, ainsi que le repaire de nombreuses espèces menacées. On notifie également la présence d’un site archéologique exceptionnel classé en tant que bien culturel suisse d’importance nationale. Afin de protéger ce territoire, l’Association pour la Sauvegarde du Mormont s’est créée avec des habitants et habitantes des environs. Depuis 2014, des randonnées, piques niques et manifestations sont organisées pour faire découvrir la richesse de cet endroit. En 2015, l’organisation prend une nouvelle ampleur : alors que les premières étapes de la mise en enquête du projet de filiation sont évoquées, l’ASM s’organise à l’échelon communal pour participer au processus de décision mené par le Canton de Vaud.

À l’issue de cette discussion, les intérêts d’approvisionnement priment sur les intérêts environnementaux, validant en 2016 le projet de filiation sur la colline du Mormont. Cette cimenterie produit annuellement plus de 800 000 tonnes de ciment. Celle-ci se trouve sur les communes d’Eclépens, de La Sarraz et d’Orny, et est aujourd’hui le plus grand site d’exploitation de la multinationale en Suisse romande. La société l’exploitant, Lafarge Holcim, est le leader mondial des matériaux et des solutions de construction. Ce groupe est domicilié à Jona, mais son siège se trouve à Zoug, en Suisse. Important leader économique national et international, Lafarge Holcim continue donc d’exploiter des sites historiques comme la colline du Mormont. C’est justement cette exploitation qui a su mettre le feu aux poudres en 2013, lorsque l’ASM s’est opposée à un projet d’extension de la carrière. Selon eux, l’entaille de dix neuf hectares devrait cesser de s’enfoncer encore plus dans les entrailles de la colline. Mais tentez donc de vous opposer à un projet d’intérêt stratégique pour l’industriel et le canton, le vote a été sans appel. Mais le combat continue, et c’est en octobre 2020 qu’une nouvelle alternative d’opposition est proposée par les militants : faire de la colline du Mormont une ZAD.

La ZAD de la colline. © Reporterre

Une première ZAD dans la colline et en Suisse

L’idée émerge chez les plus réticents au projet. Si des recours juridiques sont posés face à cette exploitation, peut-on faire confiance en la lenteur d’une machine parfois rouillée? Comme beaucoup d’autres ZAD, le combat de la Colline du Mormont est né d’un sentiment d’impuissance : si les instances traditionnelles, qui bien souvent se côtoient, ne peuvent nous aider, ça sera à nous de changer les choses. Agir à l’échelle de l’habitant, sans violence, c’est bien là l’essence d’une ZAD. Une ZAD, zone à défendre, est un néologisme militant utilisé pour désigner une occupation d’un lieu, la plupart du temps à l’air libre, dans un but politique. L’enjeu est généralement pour les « zadistes » (nom donné aux occupants) d’empêcher un aménagement du territoire. Privilégiant la protection de la nature, ces militants s’opposent aux États, aux grandes entreprises et multinationales. Ces occupations développent des modes de vie plus horizontaux et autonomes, imprégnées d’idéologies altermondialistes, écologistes radicaux et anticapitalistes.

C’est en suivant ce schéma que la lutte pour la protection du site a pris une nouvelle dimension. Pendant l’automne 2020, le plateau de la Birette a dû accueillir de nouveaux habitants pour la protéger d’un danger d’extractivisme. Surnommée ZAD de la Colline, elle devient alors la première ZAD de Suisse. L’évènement n’est pas anodin : dans ce pays où fleurissent multinationales et entreprises enrichissant les Helvètes, c’est un refus total de ce système capitaliste qui naît. Plus qu’un refus contre l’initiative en elle-même, les zadistes refusent surtout une multinationale de leur pays, et tout ce qu’elle symbolise. Arrêter la surexploitation, ne plus succomber à l’économie, mettre fin au capitalisme et protéger ce qui mérite d’être admiré, la Suisse expérimente un discours auquel elle n’est pas habituée. La preuve en est que l’année de la création de la ZAD, un vote populaire de l’initiative pour des « multinationales responsables » a lieu. Son objectif était d’imposer des règles contraignantes aux multinationales ayant leur siège en Suisse et ne respectant pas les droits humains et environnementaux. Dans un contexte de prise de conscience de ces enjeux, on pourrait penser que le “oui” l’emporta, mais c’est bien l’inverse qui se produisit. Ce refus du vote populaire illustre bien l’environnement hostile dans lequel tente malgré tout de grandir la désobéissance civile zadiste.

Différents procédés pour un objectif donné

Par son côté inédit, la ZAD est de plus en plus médiatisée. Mais elle n’est pas le seul combat engagé. Elle s’inscrit en parallèle d’une démarche juridique, impulsée avec d’autres organisations (on citera WWF, Helvetia Nostra et Pro Natura). Aux côtés de l’ASM, elles déposent un recours au Tribunal cantonal. Dénonçant les lacunes en termes d’études des impacts environnementaux, le dossier pour l’agrandissement de l’exploitation est remis en question en octobre 2018. Finalement, le projet est de nouveau validé en janvier 2019. Alors, des nouveaux recours cantonaux sont engagés par cinq membres de l’ASM et trois organisations, pour encore une fois être rejetés en mai 2020. Alors la question se pose : lutter ou se décourager ? Loin d’eux l’idée d’abandonner : un nouveau recours est déposé auprès du tribunal fédéral l’été 2020, et le jugement doit être prononcé à la fin du mois de mars.

Mais en attendant des résultats qui se font désirer, les militants ne doivent pas céder. C’est ainsi que la maisonnée abandonnée près du gouffre du plateau de la Birette devint un refuge pour ceux qui dénoncent l’inefficacité de la justice en termes de protection environnementale. Bénéficiant du soutien de l’ASM qui s’est alliée aux zadistes, la ZAD est petit à petit devenue un lieu de rencontre pour tous ceux qui refusent une société helvétique telle qu’ils la connaissent aujourd’hui. Refusant le système capitaliste qui préfère détruire un site si dense, les zadistes repensent alors la société dans son entièreté. Une organisation plus horizontale, inclusive et non oppressive est conceptualisée. Les tâches sont réparties, l’entraide avec les gens du village réconfortante, et les chantiers collectifs soudent les liens. Le lieu devient familier et le combat de plus en plus engagé : plus que critiquer le béton, c’est le monde qui l’autorise que les militants rejettent. Et ça ne sera que par l’abandon définitif du projet et de ses idées que le lieu sera libéré.

Une occupation qui divise les populations

Mais le combat n’est jamais simple, et encore moins quand les pris-à-partis se multiplient. Début février, une des communes où se trouve l’exploitation (la commune d’Éclépens) a parsemé dans toutes les boîtes aux lettres des habitants un communiqué accusant l’ASM de diviser la population et de soutenir cette action inégale. La ZAD serait-elle alors un danger pour la population ? Bloquer ce projet résulte-t-il d’une décision égoïste d’une poignée d’écologistes ? C’est ce que semble dénoncer la commune. Ce projet, selon elle, serait dans l’intérêt des emplois, des rentrées fiscales et du sponsoring des organisations locales. Un simple exemple cité : en soixante-dix ans, Holcim a su se rendre indispensable au bon fonctionnement d’Eclépens en nourrissant son four avec des déchets encombrants du canton, qui chauffe ensuite les habitations aux alentours. Par cet acte de partage, une loyauté serait de mise entre la filiale et les autorités environnantes, et ce malgré les multiples violements des droits environnementaux et humains.

Cette division pourrait se résoudre par l’évacuation de la ZAD suite à des différentes procédures juridiques. Le 16 mars prochain, la plainte pour violation de propriété privée a abouti à un “cas clair” permettant l’évacuation d’urgence. Les associations et occupants résistent et luttent main dans la main contre cette multinationales et différentes échelles du gouvernement. Refusant un projet qui s’inscrit dans une logique qui selon eux n’as que trop durer, protéger la colline du Mormont, c’est protéger un futur où l’environnement pourra accueillir et protéger les générations futures. Cette désobéissance civile trouve aujourd’hui un retentissement de plus en plus bruyant en Suisse et au-delà de ses frontières. Plus qu’un cas isolé, la ZAD de la Colline révèle les contradictions internes d’un pays hôte de multinationales polluantes que ses habitants ne soutiennent plus.

Plus d’informations sur la ZAD de la Colline ici.

Sarah Khelifi

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