Ce dimanche 13 mars avait lieu l’unique débat présidentiel tourné sur l’écologie. Organisé par des associations, il a su convaincre cinq candidates et candidats à présenter à la population leurs projets pour l’environnement. Pour vous, on a regardé et on vous débriefe !
Le débat du siècle, qu’est-ce que c’est ?
Le débat est organisé par l’Affaire du Siècle, un regroupement des quatre associations Greenpeace, Oxfam, La Fondation pour la Nature et l’Homme et Notre Affaire à Tous. Mis en place sur twitch, une plateforme de streaming en ligne, le débat du siècle se donne pour mission de répondre à l’absence de l’écologie dans les débats de la présidentielle. Alors que le dernier rapport du GIEC s’alarme de l’inactivité étatique et que la guerre en Ukraine remet en question notre dépendance énergétique et notre souveraineté alimentaire, moins de 3% du temps de parole total des candidats dans les médias porte sur l’écologie. Le chiffre est même tombé à 1.5% la semaine dernière.
Paloma Moritz, journaliste écologie du média indépendant Blast, et Jean Massiet, streameur politique, ont donc donné le micro aux candidats ayant répondu présents. Assumant la volonté de ne pas faire intervenir les partis d’extrême droite, ils ont ainsi pu accueillir Yannick Jadot, Valérie Pécresse, Fabien Roussel, Philippe Poutou et Anne Hidalgo. Jean-Luc Mélenchon a reporté sa présence. Bref, en cette fin de week-end, l’idée était de « mettre l’urgence écologique au cœur des présidentielles. »

Yannick Jadot pour EELV : « l’inaction climatique crée la précarité »
Il était sans doute le candidat le plus attendu sur la question, et pour cause : Yannick Jadot représente le seul parti français à avoir fait de l’écologie sa ligne directrice.
« Douze millions de familles sont dans la précarité énergétique : les efforts doivent être collectifs, mais correspondre aux responsabilités et aux possibilités de chacun. » Pour Yannick Jadot, la position de la justice est importante dans la lutte pour la préservation de l’environnement. Protéger le climat, dit-il, c’est aussi protéger les droits des humains car « l’inaction climatique crée la précarité. » Partant du constat que les classes populaires sont celles qui subissent le plus les dégradations environnementales, le candidat EELV prévoit notamment de baisser la TVA sur les produits réparables et locaux. 700 à 800 euros de plus seront allouées aux familles précaires pour réduire les passoires énergétiques. Des chèques énergie à hauteur de 400€ seront distribués aux six millions de familles les plus précaires ; il sera de 100€ pour les familles moyennes. Il promet également la quasi gratuité de la rénovation des bâtiments et un Pass Liberté Climat pour les jeunes. D’une valeur de 50€ par mois, celui-ci serait utilisable pour les transports collectifs tels les vélos partagés, les bus, etc.
Concernant les énergies fossiles, Yannick Jadot annonce vouloir baisser de 55% les émissions de Gaz à effet de serre pour 2030. Durant son mandat, les écoles et supermarchés seraient essentiellement fournis en panneaux photovoltaïques et le territoire français se verrait agréer 3 000 éoliennes supplémentaires pour arriver à 12 000 d’ici la fin du quinquennat, en 2027. Le candidat EELV précise que ces installations se feront en tenant compte des paysages et des besoins des territoires. Un bonus-malus climatique sera introduit dans la fiscalité des entreprises en fonction de la nature des activités. Cela devrait rapporter au moins 15 milliards d’euros.
Quant à notre quotidien, Yannick Jadot propose d’améliorer les activités dans les bourgs. Il souhaite développer l’économie circulaire et que les services publics soient disponibles à quinze minutes de notre domicile. Le forfait mobilité durable sera rendu obligatoire et augmenté à 1000 euros par an et par salarié. Dans son programme également : il assure vouloir sortir de l’élevage intensif et de la pêche durable, développer l’agroécologie avec l’aide de l’argent public et aussi améliorer le train de vie des paysans, notamment en renégociant, voire supprimant leurs dettes. En 2030, la France devrait être sortie des pesticides. Pour lui, « le capitalisme n’est pas compatible avec l’écologie, mais l’économie de marché régulée, oui. »
Réagissant à la situation en Ukraine, il appelle à un embargo sur le gaz russe et à la création d’un prix unique européen du gaz.
Bonus : on regrette que Yannick Jadot n’ait pas davantage abordé et développé des éléments pourtant importants de son programme, proches de la réalité du terrain. Notamment sa volonté de consacrer quatre milliards d’euros par an sur le train pour redévelopper les petites lignes, abandonnées lors du dernier quinquennat, ainsi que sa volonté de replacer l’écologie et l’adaptation au sein des programmes scolaires.

Valérie Pécresse pour LR : « Je suis pour une écologie de l’incitation. »
Elle le rappelle dès son introduction : la seule candidate de droite à avoir bien voulu se prêter au jeu fait partie « de la droite qui a fait de l’écologue une priorité politique. » Valérie Pécresse a par exemple été co-rapporteure de la Charte pour l’Environnement intégrée dans le bloc de constitutionnalité en 2005, et a participé à l’organisation des Grenelle de l’Environnement 1 et 2.
Son programme pour l’environnement s’articule autour de plusieurs axes : remettre la France sur la trajectoire de la neutralité carbone, que ce soit dans le domaine des transports ou du bâtiment ; favoriser l’économie circulaire ; mettre fin à la Sixième extinction des espèces et mettre en place des solutions technologiques et comportementales.
« Nous pouvons changer de modèle grâce à l’électricité. » La grande partie de son action sur l’environnement tient au pari sur l’électricité, la meilleure solution à ses yeux pour sortir des énergies fossiles. Elle espère pouvoir sortir des énergies non renouvelables d’ici 2050, grâce aux transports électriques et hydrogènes (fin des véhicules thermiques dès 2040), ou encore au chauffage électrique ou à la biomasse. L’objectif serait d’être passé au tout électrique dès 2030. Elle prévoit également de sortir de la dépendance nucléaire.
Concernant notre quotidien, la candidate LR souhaite faire fusionner le Livret A avec le livret développement durable pour placer cet argent (environ 120 Milliards de dollars) au service de la transition écologique. La France de Valérie Pécresse est une France qui utilise le moins possible les transports, avec un accès au soin plus important et une utilisation plus importante du télétravail. La candidate se donne aussi pour objectif de recycler « 100% des déchets ménagers d’ici à 2030. » Elle envisage par exemple de récupérer les téléphones usagés des Français au prix de 10€ l’appareil.
Valérie Pécresse croit en une écologie « humaniste » mais « pas décroissante ». Plus particulièrement, elle donne comme définition de sa vision du développement durable celle d’une « croissance durable de la production en France », s’insurgeant que « 4.5 fois sur cinq, on consomme des produits qui viennent d’ailleurs. »
À noter que Valérie Pécresse reste mitigée sur l’organisation de la Convention Citoyenne pour le Climat par Emmanuel Macron, un projet qu’elle n’aurait pas mis en place afin de « privilégier la parole des scientifiques. »
Bonus : la candidate LR s’est longuement attardée sur l’importance de passer au « tout électrique. » On aurait aimé qu’elle développe davantage le quotidien des Français sous un mandat qui prioriserait le 100% recyclage et une société plus respectueuse de l’environnement.
Fabien Roussel pour le PCF : « l’écologie doit prendre en compte les classes populaire »
Le candidat communiste, soutenu par le projet Nos Jours Heureux, a fait de l’écologie sociale et pour tous son cheval de bataille. Et ce dès le plus jeune âge : il envisage ainsi de créer un fonds de dix milliards d’euros pour donner accès à tous les enfants à la cantine, où sera servie une nourriture issue de l’agriculture locale : « il s’agit de manger mieux et moins de viande, de privilégier une alimentation locale et responsable, élevée en plein air et préservant nos prairies » explique-t-il, annonçant également vouloir mettre fin à l’importation alimentaire. Dans cet objectif, il envisage d’atteindre les 500 000 agriculteurs en 2030 (en 2020, l’Insee comptait environ 400 000 agriculteurs en France ndlr).
Fabien Roussel souhaite aussi renationaliser les autoroutes et la SNCF et rouvrir les petites lignes ferroviaires afin de désenclaver les territoires ruraux. L’argent public serait aussi utilisé dans les transports collectifs urbains, lesquels seraient rendus gratuits. Le but : que les Françaises et les Français laissent le plus possible leur voiture chez eux. Une mesure qu’il prendrait aussi d’un point de vue industriel, puisqu’il annonce vouloir consacrer quatre milliards d’euros au ferroutage afin de réduire la portée environnementale du transport routier des marchandises. Au niveau des logements, le candidat communiste prévoit d’utiliser dix milliards par an afin de rénover 700 000 logements chaque année. Tant que le baril du pétrole reste élevé, il programme de baisser le prix de 30 centimes par litre. La prime à la conversion des transports sera doublée pour s’élever à 10 000 euros. Pointant du doigt « les entreprises qui gagnent de l’argent sur notre dos, y compris en temps de guerre », il prévoit d’investir massivement dans le nucléaire pour sortir des énergies fossiles.
Enfin, Fabien Roussel plaide aussi pour une démétropolisation avec une meilleure répartition des entreprises, mais aussi des ministères et des services publics sur le territoire. « Inciter les gens à habiter dans la ruralité, c’est aussi une manière de lutter pour la qualité de l’air » assure-t-il. En parallèle, il souhaiterait élargir notre fonctionnement démocratique, en donnant par exemple plus de rôle au CESE ainsi qu’aux régions et aux départements, notamment pour l’aménagement du territoire.
Bonus : Fabien Roussel a eu l’avantage de développer les conséquences de son projet sur le train de vie quotidien de la population. Un discours plutôt concret, mais qui a laissé de côté ses ambitions internationales (COP plus contraignantes pour les pays, par exemple.)

Philippe Poutou pour NPA : « il n’y a pas d’écologie sans lutte des classes. »
« On est dans le pire de l’inaction, que ce soit pour les droits humains ou pour la planète. » Il a dû quitter le plateau plus tôt pour ne pas louper son train, mais le candidat NPA était bien présent pour porter les couleurs d’une « écologie radicale anti-capitaliste. »
Philippe Poutou souhaite mettre en place une nouvelle société par le bas, plus transparente, dégagée de la course au profit. Il incite à une économie sous contrôle des salariés et de la population. L’agriculture productiviste serait laissée de côté, ce domaine étant alors contrôlé par la petite paysannerie. Il souhaite aussi se débarrasser des énergies fossiles, ce qui revient également à ses yeux de repenser notre système bancaire. « L’utopie, dit-il, c’est plutôt de penser que le système capitaliste peut s’améliorer. »
Bonus : Philippe Poutou a regretté une émission en format « grand oral » plutôt qu’une vraie contradiction entre les candidats. Les journalistes ont défendu ce mode de fonctionnement destiné à donner plus de place à un sujet auquel les médias traditionnels ne réservent que peu d’attention.
Anne Hidalgo pour le PS : « pour une politique très volontariste et engagée. »
Connue pour ses mesures environnementales prises à la mairie de Paris, Anne Hidalgo était elle aussi attendue sur le sujet. Affirmant « savoir ce que c’est que de se battre face aux lobbyings », elle appelle notamment à « redonner du sens au travail » et à « davantage débattre avec les parlementaires. »
D’un point de vue économique, la candidate PS souhaite faire voter un Budget Climat et biodiversité à hauteur de 15 milliards d’euros. Voté en chaque fin d’année, il fixera les programmes de réduction d’émission de CO2 et de décarbonation de la production d’énergie. Elle envisage de taxer les entreprises qui prospèrent sur les énergies fossiles et de créer un Impôt de Solidarité sur la Fortune Climat et Biodiversité dans le but de mettre à contribution les plus fortunés. Elle souhaite également surtaxer les placements liés aux énergies fossiles. Et surtout : sortir du carbone sans laisser souffrir les travailleurs de ce secteur.
La candidate PS souhaite aussi « une vie plus saine où on respire mieux » : elle évoque reconnaissance de notre interdépendance, développement des circuits courts, des entreprises davantage tournées vers l’économie de la vie. Pour cela, elle prévoit aussi la création d’une taxe empreinte carbone sur le billet d’avion lorsqu’une alternative ferroviaire existe. Toujours pour mettre en place des transports plus « durables », Anne Hidalgo souhaiterait que le pays soit davantage équipé en bornes électriques.
Bonus : le programme d’Anne Hidalgo annonce parmi ses priorités la lutte contre l’accaparement des terres et l’artificialisation des sols, une idée qu’elle n’a pas développé lors de son audition.

Un débat nécessaire, des candidats pas très concernés
C’était un débat que l’on attendait car il permettait enfin d’aborder l’angle écologique des candidates et candidats à la Présidentielle. En plus de cela, son organisation permet de montrer deux failles non négligeables dans cette course à l’Élysée 2022 :
Les médias traditionnels, y compris ceux du service public, s’intéressent si peu à l’écologie que médias indépendants et associations sont aujourd’hui contraints de les remplacer dans le débat démocratique. Et parce que les plateaux de télévision se désengagent du sujet, l’auditoire à ce débat n’a pu que se limiter aux personnes qui maîtrisent le web et savent ce qu’est twitch ou un streamer politique. Dans l’idéal, une information aussi urgente devrait pourtant être accessible à toutes et à tous, milieux sociaux et générations confondus. L’avantage de ce format restant que les candidates et candidats ne pouvaient que dérouler leur programme, loin de la compétition à la punchline ou aux invectives qui rythment la plupart des débats à la Présidentielle.
D’ailleurs, les journalistes, plus particulièrement Paloma Moritz, maîtrisent mieux le sujet que la plupart des candidats. On ne peut que le regretter : pour un Grand Oral, certains candidats n’avaient que peu révisé. Le débat sur l’environnement n’a parfois pu se limiter qu’à la solution « miracle » du passage à l’électrique, laissant souvent de côté des domaines tout aussi liés à l’écologie, comme l’éducation ou l’accès aux services publics.
Pour voir le replay, ça se passe sur Blast ici !
