Eva Byele signe un conte féministe aux allures des Mille et une nuits

Pour la rentrée, Combat met en avant cinq ouvrages qui ont marqué notre été. (2/5) Le dernier roman de l’écrivaine nous entraîne dans le quotidien d’un harem où elle compose une ode à l’émancipation des femmes.

« Ecrire, pour une femme, était synonyme de subversion, première et indivisible. L’acte même d’écrire était condamnable car c’était dire « je » dans un monde où les femmes n’avaient pas leur mot à dire. Il en résultait un paradoxe immense : comment penser par soi-même lorsque l’on était en permanence pensé par l’Autre ? Quand aucune place ne nous était laissée pour penser par soi-même la vie ? Telle était la plus grande difficulté pour les femmes ! »

L’histoire se déroule dans un Orient lointain. Enlevée sur un bateau, la franco-andalouse Cléromyde file ses jours dans un harem, où elle se distingue à la fois par sa beauté et son intelligence. Cultivée, musicienne, éprise de lettres, tous l’imaginent déjà épouser le Bey. Mais bien plus qu’une vie au bras d’un grand prince, l’héroïne espère conquérir sa liberté, à l’extérieur comme à l’intérieur.

Avec Le Palais des délices, Eva Byele poursuit la mission qui l’habite depuis des années : émanciper les femmes et lever le voile sur le génie féminin.

Orientalisme, sororité et sensualité

Il y a quelques années, Eva Byele découvre l’œuvre de Fatema Mernissi. Née dans un harem marocain dans les années 1940, la sociologue a mené toute sa vie un véritable combat pour les droits des femmes. En 2001, son ouvrage Le Harem et l’Occident s’en prend à notre vision fantasmée du harem véhiculé en Occident. Elle le décrit comme le lieu de la réclusion des femmes qui ne rêvent que de s’en émanciper.

Touchée par cette lecture, Eva Byele imagine un récit où le féminisme pourrait sortir victorieux de cet espace confiné. Dans cet Orient où la beauté fascine et le patriarcat impose, elle peint des portraits de femmes fortes, éprises de liberté et prêtes à renverser l’ordre pour embrasser leur indépendance. Et la sororité y est présentée comme une arme aussi absolue que nécessaire.

« Ne plus rejeter sa propre féminité, ne plus rejeter le féminin en soi, ne plus rejeter le fait d’être une femme… Ne plus associer le fait d’être une femme à la soumission et l’abnégation mais à la puissance de la création, la transformation et la guérison » insiste-t-elle. L’auteure ouvre en grand les perspectives féministes, sans tabou. Aux réflexions philosophiques et artistiques de son héroïne se mêlent des pages de sensualités et d’érotisme. Dans ce harem où, réduites en esclavage, les femmes semblent n’être rien d’autre que des objets sexuels, Cléromyde devient reine de son corps et n’hésite pas à se lancer dans des amours plurielles. Alors que les débats autour du consentement n’ont jamais autant noirci de pages, Eva Byele martèle l’importance pour une femme de connaître son propre corps et son propre plaisir afin de réellement s’appartenir. La libération intellectuelle épouse la libération physique. Tout est toujours question de connaissance.  

Le potentiel créateur est féminin

« En empêchant les femmes de créer et d’exprimer leur création au monde, on les condamne à l’errance et potentiellement à la folie. Mais ces hommes préfèrent avoir des folles que des génies ! »

De la danse à la spiritualité en passant par quelques clins d’œil aux combats pacifiques et écologiques, le conte féministe d’Eva Byele fait aussi la part belle à la puissance créatrice des femmes. Cléromyde lit, écrit et philosophe. Elle enfante d’un manuscrit, œuvre d’une vie, dont elle connait l’importance. Elle-même animée par la passion des mots, l’auteure revendique pour les femmes le droit de créer dans tous les sens du terme. En 2020, déjà, elle signait dans nos colonnes une tribune vibrante sur l’écriture des femmes comme résistance à l’ordre établi : « l’invisibilisation des femmes par le langage est la plus grande preuve du pouvoir des mots. C’est par la féminisation ou plutôt par la « démasculinisation » de la langue que les femmes pourront prendre pleinement leur place dans la société. Et c’est en s’emparant des mots à travers l’écriture que les femmes créatrices donneront à voir d’autres imaginaires, d’autres manières de représenter les femmes qui permettront qu’un nouveau monde éclose. » Le personnage de Cléromyde n’est finalement rien d’autre que l’incarnation de cet appel si cher à l’auteure.  

« Cléromyde s’était souvent demandé si écrire un livre lui permettrait d’avoir une place dans le monde… » A cette question, Eva Byele aurait pu répondre à l’instar de son héroïne : « Telle était sa mission de vie : Écrire ! Écrire ! Comprendre le monde et donner à lire du beau. » Comme toujours, Eva Byele séduit par une écriture riche, envoûtante et de grâce. Le tout au service de la puissance des femmes.

Par Charlotte Meyer

Eva Byele, Le Palais des délices, Editions Les bruissements de l’âme, mai 2024, à retrouver ici

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