Au sortir du confinement, une mesure de la direction d’un Biocoop parisien a mis le feu aux poudres : l’instauration du travail du dimanche. Des employés·es ont décidé de faire grève contre cette décision, tout en revendiquant également de meilleures conditions de travail. Un bras de fer est engagé. Combat était présent sur leur piquet de grève. Reportage.
En pleine période estivale, sous un ciel gris et pesant, une manifestation a lieu dans le 11e arrondissement de Paris. Cette fois-ci, aucun mouvement du côté des places de la République, de la Bastille ou de la Nation ; mais près de la frontière avec le 20e arrondissement. Ce samedi 1er août, devant le magasin Biocoop – Le Retour à la Terre (LRT) de la rive droite de la Seine – un autre établissement se trouve également dans le 5e arrondissement –, un piquet de grève a été installé.
Depuis le mois de mai, la colère gronde dans cette franchise de la fameuse enseigne bio. Seulement une semaine après le déconfinement, la direction a en effet informé les salariés·es de l’instauration du travail du dimanche à compter de septembre 2020. Une annonce ressentie comme une véritable claque par ces « travailleurs de l’ombre ». Ayant vécu la période du confinement comme « extrêmement difficile », selon les dires de Nicolas qui est employé chez Biocoop – LRT depuis décembre 2017, ils s’attendaient à tout sauf à cela. « La charge de travail était très dense, souffle-t-il. On était sous pression mentale en permanence. »
Le travail du dimanche : la goutte d’eau de trop
Pour elles et eux, cette annonce a été celle de trop. « C’est à partir du refus du travail du dimanche qu’on a pu rassembler beaucoup de monde », relate Samuel, un jeune délégué du personnel de 27 ans, sous le bruit des discussions d’une cinquantaine de grévistes et de manifestants·es.
« Lors des entretiens d’embauche, Catherine Chalom [la directrice de Biocoop – LRT] nous disait que nous ne travaillerions pas le dimanche, explique Samuel. Aujourd’hui, elle affirme que cette mesure reposera sur le volontariat. Mais quand 2/3 de votre salaire part dans votre loyer, êtes-vous réellement volontaire ? » La direction compte également sur un roulement des effectifs important à chaque rentrée scolaire ; d’après les grévistes, les candidats·es devront accepter de travailler le dimanche s’ils souhaitent être recrutés·es.

« Mais il y a d’autres revendications qui traînent depuis longtemps », continue Samuel, plusieurs bracelets de la Fête de l’Humanité au poignet. Aujourd’hui, ces revendications sont claires et largement partagées. En plus du refus du travail du dimanche, ils souhaitent l’acceptation automatique de toutes les demandes de rupture conventionnelle ; ils demandent également l’instauration d’une grille des salaires comme le dispose l’annexe 9 du Cahier des charges général de Biocoop national de 2018 ainsi qu’une revalorisation immédiate de leur paie.
Toutefois, un mystère subsiste : cette même annexe a disparu de l’édition 2020. La numérotation y est pourtant identique ; en d’autres termes, l’on passe directement des annexes 8 à 10, sans aucune « annexe 9 ». Alors : étourderie ou suppression volontaire ? Quoi qu’il en soit, les grévistes exigent sa réintégration dans le dernier cahier des charges.
« On s’est mis à faire de la politique »
13h09. Devant une banderole « Travailleurs de l’ombre, entrons dans la lumière ! » et les quelques tables sur lesquelles repose un buffet à prix libre, les prises de parole débutent. « Avant, on jouait de la musique face à la crise sanitaire, économique et climatique, lance au mégaphone le délégué du personnel qui travaille chez Biocoop – LRT depuis près d’un an et demi. Aujourd’hui, on a arrêté de jouer de la musique et on s’est mis à faire de la politique. » Les applaudissements fusent. Il poursuit : « Cette entreprise se revendique écologique et sociale, mais le travail le dimanche pousse à la surconsommation et n’est pas social. » Car ouvrir le dimanche permettra d’augmenter les bénéfices : le calcul est clair pour la direction.
Pour les travailleurs·ses, aussi. « Nous n’allons pas sacrifier notre vie sociale pour augmenter les profits de l’entreprise », lâche d’emblée Konstantin, l’unique syndiqué – chez Solidaires – au sein de ce mouvement de grève. Âgé de seulement 20 ans, lunettes de soleil type « Aviator » sur le nez et dégradé haut, il n’hésite pas à tenir des propos directs et engagés : « L’écologie est populaire, sociale et politique. Sans lutte des classes, c’est du jardinage. » Grévistes et manifestants·es approuvent en chœur par des acclamations soutenues.
La grève : un « rassemblement festif » ?
Le 9 juillet, le collectif des grévistes de Biocoop – LRT avait répondu à l’appel national à la grève de la fédération CGT Commerces et services. D’une pierre deux coups. Soutenir les revendications de revalorisation salariale, de réduction du temps de travail et du maintien de l’emploi d’une part, tout en mettant en lumière leur lutte d’autre part. Grâce à cette première mobilisation, les lignes ont un peu évolué. Un membre de la direction régionale est venu échanger avec les grévistes sur leur piquet. « Ils tiennent à leur image et ne veulent pas qu’elle soit ternie », explique d’un trait Samuel.

Deux jours avant la mobilisation du 1er août, ils reçoivent enfin une réponse. Première « bonne nouvelle » : la directrice reconnaît dans leur mouvement de grève… un « rassemblement festif » ! Et puisque « jamais une sans deux » : elle leur annonce également être en congés du 3 août… au 30 août ! Soit deux jours seulement avant la mise en place du travail du dimanche. Le ton est clair : au mieux de l’ignorance, sinon du mépris. Le collectif a d’ores et déjà annoncé sa participation à la « journée nationale d’actions, de grèves et de manifestations » organisée par la CGT le 17 septembre 2020.
Et dans ces moments-là, on assiste parfois à de véritables preuves de solidarité de classe. La « Conquête du pain », une coopérative boulangère et bio qui fournit ces deux magasins en grève, a décidé de suspendre ses livraisons tout en apportant à la place des cagettes vides contenant des mots de soutien. La musique d’un petit orchestre venu spécialement pour l’occasion égaie l’atmosphère. Leïla, 39 ans, qui travaille chez Biocoop – LRT depuis 9 mois, sourit : « La grève, c’est le plus beau et le plus fort. »
Marius Matty
Image à la Une : Grévistes et manifestants·es devant le Biocoop – Le Retour à la Terre du 11e arrondissement de Paris (2M, Creative Commons, Pas d’utilisation commerciale 4.0 International).
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