Handicap : Une pétition relance la polémique sur le calcul de l’AAH

Chaque week-end, Combat décrypte le sujet que VOUS avez choisi en début de semaine. Cette fois-ci, vous avez choisi celui sur la réforme de l’AAH.

C’est une première en France. Une pétition mise en ligne en septembre sur le site du Sénat a dépassé, fin janvier, les 100 000 signatures. Portée par une quarantaine d’associations de défense des droits des personnes en situation de handicap, la pétition met en lumière une revendication : la désolidarisation des revenus du conjoint ou de la conjointe dans le calcul de l’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH).

Créé en 1975, l’AAH est un minimum social destiné à garantir des ressources aux personnes handicapées qui ont un taux d’incapacité à travailler supérieur à 50%. Ce taux d’incapacité est calculé à l’aide d’un barème, qui mesure le niveau des conséquences du handicap dans la vie quotidienne (vie scolaire, vie professionnelle, vie familiale et sociale…).

Avec 1.13 millions de bénéficiaires en 2017, l’AAH est le deuxième minimum social derrière le RSA (1,88 millions).

Comme indiqué dans la pétition, l’aide est calculée en fonction des revenus du conjoint ou de la conjointe de la personne handicapée. Ainsi, si les revenus du foyer dépassent un certain seuil, assez faible (19 607 euros/an pour un couple sans enfants par exemple), l’AAH de la personne handicapée lui est retirée.

“Cela met les personnes handicapées en situation de dépendance financière”, explique Clémentine Dangeron, du collectif de femmes handicapées “Les Dévalideuses[1] ”, dans une interview accordée à l’AFP en décembre. Selon elle, cette situation de dépendance touche plus particulièrement les femmes car “elles sont moins en emploi, plus souvent à temps partiel, et aussi plus fréquemment victimes de violences”. Selon un rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne, 34% des femmes handicapées sont victimes de violence physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire, contre 19% des femmes valides.

“J’ai le sentiment d’être mise sous tutelle”

La pétition au Sénat a été lancée par Véronique Trixier, une bénéficiaire de l’AAH. Lorsquelle avait huit ans, l’Auvergnate a été victime d’un sévère accident de la route. Depuis ses 20 ans, elle touche l’AAH. Mais quand elle a emménagé avec son compagnon en 2015, elle a perdu son droit à l’aide sociale car les revenus de son compagnon dépassaient le seuil autorisé. J’ai le sentiment d’être mise sous tutelle. Heureusement que mon compagnon se montre compréhensif et que l’on s’entend bien. Mais combien d’hommes et de femmes handicapés se retrouvent en situation de dominés ? C’est honteux”, a-telle confié au site faire-face.fr

En septembre, la quadragénaire a décidé de lancer une pétition sur le site e-pétition du Sénat. En décembre, la visibilité de la pétition a explosé grâce au relais de militant.e.s comme Elisa Rojas, ou de personnalités comme Nicole Ferroni. Elle a été partagée de très nombreuses fois sur les réseaux sociaux avec les hashtag #SignezPourNotreAutonomie, #DesolidarisonsAAH et #ObjectifAutonomie. Et fin janvier, la pétition a finalement atteint le seuil des 100.000 signatures.

Le Sénat sous pression

Comme expliqué sur le site Internet des e-pétitions du Sénat, lorsqu’une pétition postée sur le site reçoit plus de 100.000 signatures en moins de 6 mois, elle est transmise à la Conférence des Présidents du Sénat. La recevabilité de la pétition est examinée par la commission du Sénat compétente (ici, la Commission des Affaires sociales) quand le seuil de signatures est atteint, ou bien à la fin du délai de six mois.

Dans le cas de la pétition pour l’AAH, Gérard Larcher, président du Sénat, s’est saisi du dossier avant le seuil des 100.000 signatures en nommant un rapporteur pour la proposition de loi “portant diverses mesures de justice sociale” (PPL Mesures de justice sociale, en plus court). Cette loi a été votée il y a un an par l’Assemblée Nationale, contre l’avis de la majorité gouvernementale. Mais elle n’était pas encore parvenue au Sénat. La pétition et sa médiatisation ont très probablement aidé à prioriser le texte dans le calendrier législatif. Une victoire, donc, pour les associations du Collectif Handicaps qui ont porté la pétition avec Véronique Trixier.

Néanmoins, il reste encore du chemin à parcourir avant que la loi définitive ne soit votée. La proposition de loi sera présentée au Sénat en mars, qui risque probablement de l’amender ; dans ce cas, la proposition de loi devra retourner à l’Assemblée Nationale en seconde lecture. Et maintenant que le texte a gagné en puissance politique, les députés de la majorité devraient être plus nombreux dans l’hémicycle pour tenter de le retoquer. Néanmoins, la majorité gouvernementale pourrait également choisir, cette fois, de voter en faveur du texte, puisque la décision sera scrutée par de nombreux Français. 

Personnes handicapées et précarité

Lors de son élection, le président Emmanuel Macron avait annoncé faire du handicap l’un de ses chantiers prioritaires. En 2019, 86% des personnes handicapées vivaient toujours en situation de précarité selon une étude de l’IFOP. L’AAH, aide principale pour les personnes handicapées, n’est plus indexée sur l’inflation depuis 2019 : son montant est d’environ 902 euros en taux plein, soit sous le seuil de pauvreté. Et si la personne handicapée travaille, l’AAH décroît. Par exemple, si une personne handicapée touche environ 6000 euros de salaire dans l’année (environ 500 euros par mois), le montant de l’aide décroît de 12% et passe à 789 euros.

Toujours en 2019, le gouvernement a supprimé le complément de ressources, d’un montant de 176 euros, qui s’ajoutait à l’AAH pour les personnes étant en incapacité totale de travailler.

L’étude de l’IFOP révèle une forte défiance des personnes handicapées vis-à-vis du gouvernement et de sa capacité à lutter contre la précarité des personnes handicapées.

La balle est désormais dans le camp du gouvernement pour enfin aider les personnes handicapées à sortir de la précarité.


Créé en 2019, Les Dévalideuses se définit comme « un collectif féministe qui démonte les idées reçues sur le handicap. » Leur but est notamment de se réapproprier les discours et les espaces dont sont trop souvent exclues les femmes en situation de handicap.

Julie Tomiche

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