Le journalisme sera vert ou ne sera pas !

Le 14 septembre dernier, la REcyclerie à Paris était pleine à craquer pour le lancement de la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique. Combat aussi y était, et entre une ambiance bienheureuse et des progrès encore à faire, on peut dire que le journalisme se colorise (doucement) en vert.

crédits : Mathilde Trocellier / Combat

Il ne reste que très peu de places assises libres, et beaucoup se tiennent déjà debout derrière les rangées de chaises préalablement disposées. « Tout d’abord, merci à vous », commence Loup Espargilière, rédacteur en chef de Vert. A l’initiative de l’événement, avec Anne-Sophie Novel, il adresse un message à l’audience, mais aussi au responsable de la REcyclerie, qui accueille l’événement. « On ne pensait pas que ça prendrait une telle ampleur » continue le journaliste en balayant du regard les quelque 200 personnes présentes pour assister au lancement de la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique.

Les treize commandements

Confrères, consœurs, collègues ou encore amis sont tous là pour découvrir les 13 points de cette charte d’un genre nouveau, pensée pour accompagner le journalisme dans une transition générale vers plus d’éco-responsabilité. Signée par alors plus de 1200 journalistes individuellement et environ 120 médias ou institutions, elle se présente comme un outil inévitable proposant de nouvelles manières de traiter les sujets liés au climat, au vivant et à la justice sociale [NDLR : le 20 septembre, il y avait plus de 1400 signataires]. Brisant le décalogue traditionnel avec ses 13 points, elle entend bien révolutionner les pratiques journalistiques. Une volonté lisible dans les trois moments de la soirée. 

Celle-ci s’ouvre sur une table ronde abordant le thème du traitement médiatique du climat, du vivant et de la justice sociale. En position : Valérie Masson-Delmotte, vice-présidente du GIEC, le chercheur du CNRS Philippe Grandcolas et Raphaël Demonchy, représentant du collectif « + de climat dans les médias ». Chacun leur tour, ils demandent aux journalistes assis dans le public de s’appuyer sur la science et les données du GIEC, et ainsi inviter des spécialistes à venir discuter sérieusement de ces sujets avec eux. Ils invitent également à utiliser les JT, lesquels peuvent toucher près de 12 millions de téléspectateurs chaque soir, pour relayer les informations majeures, ou encore à multiplier les reportages et articles qui traitent du climat en profondeur tout en sélectionnant mieux les sujets, pour mettre fin au désintérêt que ceux sur l’écologie provoquent. « Les informations qui concernent le climat devraient provoquer de l’effroi, ou de la stupéfaction, au moins de l’intérêt ». De même, si des choses ont évolué, les journalistes doivent prendre conscience de l’urgence qui concerne notre biodiversité et doivent être les premiers à « se rendre compte qu’il est bien agréable d’être à l’ombre d’un arbre ». Sur les journalistes donc, et les « passeurs de savoir », repose la responsabilité de l’écologie.

crédits : Mathilde Trocellier / Combat

Celle-ci est évoquée lors du deuxième temps de la soirée : la présentation des 13 points de la Charte par de nombreux journalistes signataires. Parmi eux, figurent Juliette Quef de Vert, Philippe Vion-Dury de Socialter, Paloma Moritz de Blast ou encore Hervé Kempf de Reporterre et Thomas Baïetto de Francetv Info. Chacun présente un ou plusieurs points de la Charte et l’illustre. De quoi montrer qu’elle n’est pas irréalisable, au contraire.

crédits : Mathilde Trocellier / Combat

Enfin, l’événement se conclut sur une ultime table ronde composée exclusivement de journalistes, pour évoquer les transformations possibles, et déjà en vigueur, du paysage médiatique. Chez tous les intervenants, un seul mot d’ordre : « la planète médiatique brûle ». On peut par exemple citer Le Monde, chez qui tous les journalistes sont formés aux sujets de l’écologie. On peut aussi évoquer Radio France, dont le tournant écologique annoncé est encore frais. En conclusion, des solutions prennent déjà sol un peu partout, et germent dans de nombreux lieux médiatiques, même les plus fermés de prime abord. Le journalisme se met bien au vert, à son rythme.

crédits : Mathilde Trocellier / Combat

Pas des militants ou des écolos, mais des journalistes

Si la charte est abordée dans son ensemble, et que l’événement laisse la place aux questions du public, des interrogations persistent. Comment contrôler l’éco-anxiété qui pourrait connaître une explosion avec la meilleure prise en compte des problématiques écologiques dans les médias ? Existe-t-il de nouveaux moyens de faire comprendre ces sujets sans s’appuyer sur la science, difficilement accessible au public et à laquelle bien souvent il ne s’intéresse pas ? Pouvons-nous alerter les autorités par les médias ? Et, finalement, n’est-il pas ici question de réformer le journalisme ?

Car alors que la question des sujets était au cœur des débats, c’est en parallèle la pratique qui était interrogée : comment réussir à transformer nos habitudes journalistiques pour convaincre nos rédactions de changer ; intégrer à nos enseignements ces thématiques ; comment enseigner la bonne manière de les aborder ? Autant d’inconnues auxquelles ont tenté de répondre les intervenants, qu’ils viennent d’écoles ou de rédactions reconnues, sans pourtant sortir des consensus que nous connaissons déjà. Les discours nous présentent la bonne marche à suivre, et nous avons envie de nous y jeter à cœur perdu tant le projet est alléchant, mais quand la pratique donne des résultats contraires, comment faire ? L’urgence ne réside plus dans l’utilisation des bonnes images ou des bons chiffres, mais d’abord dans le retour de la confiance du public. Pour autant, aucun mot n’est adressé pendant la soirée aux militants dans l’action directe pour l’écologie, aucun mot n’est adressé aux jeunes qui souffrent d’éco-anxiété, et aucun mot n’est adressé à ceux qui ont besoin de plus que des paroles. « Nous ne sommes pas des militants ou des écolos, mais des journalistes ». Certes, mais cette charte nous donne un nouveau statut, celui d’acteurs du changement que nous attendons.

Si les mots sont ici durs, ils n’empêchent pas la signature de Combat à cette charte, et la conscience de notre rédaction aux enjeux qui sous-tendent sous ce texte. En tant que média indépendant, nous faisons au mieux pour ne pas délégitimer nos amis militants, et au contraire leur offrir un cadre inédit. Nous savons que la science ne résout pas toujours tout, et que parfois, les chiffres sont récités sans qu’on ne les comprenne complètement. Pour autant, nous essayons au mieux de faire preuve de pédagogie, et d’accompagner nos lecteurs dans nos propres démarches. De même, nous savons que notre action ne sera utile qu’à moindre échelle, c’est pourquoi nous tentons de nous intéresser à ce qui nous entoure plutôt que de ne tenir compte que de la misère du monde étranger que nous ne connaissons pas encore, pour nous re-sensibiliser à ce qui nous entoure, comme nous le conseille François Bégaudeau. Nous fournissons des efforts, et cette charte, bien qu’elle soit ouverte aux améliorations, nous montre que nous sommes sur la bonne voie, et que nous devons continuer. 

Au sortir de cette soirée, alors que la nuit commence à être fraîche et que la vie des rues de la porte de Clignancourt porte ses passants, la chanson de Mickey 3D « Respire » nous vient en tête. C’est un peu cliché, mais c’est vrai qu’il est grand temps de respirer, parce qu’on ne connaît pas la fin de l’histoire, mais qu’on peut essayer de la retarder, ou de la teindre en vert, à notre échelle.

Par Mathilde Trocellier et Jahs

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